Du Côté De Chez Rougon-Macquart par Hug.S.

J’ai grandi dans Le Ventre de Paris. Mes parents étaient des êtres vénérables, besogneux, discrets, pourtant le voisinage ne les estimait guère, et même au-delà du quartier, de la ville. On ne nait pas rat des villes pour vivre une vie facile, malgré cette destinée, longtemps j’ai fait, petit rat, Le Rêve, de devenir petit rat à Garnier. Espoir déçu, rêve déchu.

Ma jeunesse, si peu facile, se passa pourtant dans une insouciance joyeuse, La Joie de vivre me portait, je ne renonçais pas à croire en un bel avenir pour ma famille et moi. La Bête humaine menait contre notre clan un combat terrifiant, l’hiver en particulier.

Une année le froid, les vents, la neige, les nuits de gel rendirent La Terre inexploitable, ne nous restaient que les réseaux souterrains, refuges ultimes en cas de graves situations, tout était fait pour nous en éloigner. Cet hiver glacial provoqua le début de La Débâcle, le grand voyage à travers les égouts, les caves pour un horizon incertain, plus au sud. La mort et ses exécuteurs étaient à L’Œuvre. Beaucoup périr durant l’exode, Le Docteur Pascal, l’un des nôtres, vétéran aguerri aux batailles passées, ne put qu’aider les faibles à soulager leur peine sans aller au-delà.

Son Excellence Eugène Rougon ordonna l’usage systématique d’une nouvelle méthode chimique radicale. Ce fut l’hécatombe, une presque totale extinction de notre groupe. Cet épisode nous marqua tellement qu’aujourd’hui encore nous commémorons nos morts, le jour de L’Assommoir est moment de recueillement, de souvenir.

Avant la fin de l’hiver nous avions quitté Paris et entrepris La Conquête de Plassans. Ce fut facile, la cité était en plein désarroi, le chaos remuait tous les quartiers, à cause d’une affaire de mœurs pétillante par certains aspects : par La Faute de l’abbé Mouret une prénommée Nana, bien en chair, si tant joliment ronde qu’elle était surnommée Pot-Bouille, une bouille en forme de pot tout rond, cette Nana donc jouait à chaque messe le rôle de La Curée en chaire, en os et peau nue surtout, entièrement nue.

Mais il y est des lieux peu propices Au Bonheur des Dames, Nana croyait écrire Une Page d’amour, en dansant dévêtue elle honorait la beauté, la joie ; hélas la triste foule la refoula.

À Plassans, passa plaisant le temps, chaque famille reprit santé et ambition, les nuits nous parcourions caves et greniers, de quoi refaire nos affaires. De saison en saison, nos réserves croissaient, un retour à Paris était juste bienvenu, pour placer au plus profitable La Fortune des Rougon que nous avions constituée.

L’Argent appelle l’argent, depuis des décennies nous vivons dans le ventre de la Bourse, le Palais Brogniart est notre Versailles, et sur toutes les transactions faites ici nous prélevons l’impôt Germinal que nous plaçons en livrets Fructidor, notre révolution s’enrichit, c’est pour bientôt demain.

Je profite aussi de la capitale pour retrouver mon rêve de rat petit, j’ai place de choix en la loge de l’Impératrice à Garnier, j’y passe des soirées de ballets merveilleux, c’est un peu moi qui danse sur la scène, j’ai les yeux plein d’étoiles chaque soir.

2023.09.21 jeudi

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