J'Y Étais... par Christian-Louis

 (Pour voir la scène "Le Déjeuner des canotiers" d'Auguste Renoir c'est par ICI ou par .)

À prendre une photo aujourd’hui, on s'aperçoit que je n'ai pas beaucoup changé.

Regardez là, oui là. Le bel hidalgo qui attire tous les regards des demoiselles en pâmoison devant mes belles paroles, c'est bien moi.

Je me rappelle tout de ce dimanche après-midi 24 juillet dans la guinguette du bord de l'eau où tout Paris se montre.

Ayant rencontré le vendredi Auguste, l'ami de mon ami : il m'invita à venir boire un verre parmi ses admirateurs.

Mon nouveau pote m'a prêté sa veste blanche. Ainsi mon pull noir tout élimé n'était plus l'intérêt majeur de ma tenue, seul le col grisâtre de ma chemise apparaissant.

Tellement la foule me pressait, j'en ai perdu mon canotier dans la bousculade

Enfin j'ai réussi à m'approcher d'une table où conversaient des convives.

Arc-bouté, les mains sur le dossier des chaises, je pérorais sur le pourquoi de ma venue : Ma rencontre dans un salon mondain avec Verlaine pour une lecture de ses poèmes saturniens.

"Vraiment, Mesdames, Monsieur, ce repas a dû être succulent voyant votre table avec toute ces bouteilles."

Là, la femme au bout de la table portait une jolie robe "bleu-nuit" d'où dépassent les bouts de manches de son chemisier blanc. Sur ses cheveux un chapeau du modiste à la mode la montrait encore plus belle.

Là, juste sous mes yeux, l'autre dame semblait envoutée par ma présence, toute émoustillée dans son habit bleu clair, gobant mes paroles.

Mais lui, vêtu d'un simple haut sans manches tout blanc, restait impassible à mes dires.

Puis, il y avait cet inconnu, debout appuyé sur la rambarde en tricot de corps. Le voir ainsi si hautain essayant d'attraper quelques bribes de conversations étouffées.

D'une autre table, il y avait des participants buvant et interpellant une jeune dame accoudée à cette rambarde.

Plus loin, un groupe de Messieurs de la "haute", chapeau haut-de-forme en place, s'échangeaient leurs confidences.

 

Si on regarde bien la photo, on peut y voir derrière les arbres un bel immeuble sous un ciel lumineux, la toile rayée du restaurant laissant traverser les rayons du soleil.

Mais qu'avais-je à leur dire à tous ?

Fallait-il au moins que je récite deux ou trois poèmes de Louis Rojane pour tant les intéresser malgré l'accordéon jouant un air entrainant tout au fond de la pièce.

Qui me connaissait à cette époque, à part Auguste ? Personne.

Peut-être qu'un prochain dimanche j’aurai du cran à revenir quand on me reconnaîtra.

Aurais-je aussi le courage de poser comme modèle pour un prochain tableau

Peut-être bien qu'alors je finirai comme les nombreuses toiles d'art et niées dormant dans les caves des musées.

Je me rappelle que Nerval m'avait lu "Les chimères". Oui, ça me ressemble même si les ombres chinoises sont les reflets de manipulateurs comme sont aujourd’hui tant d'infox qui s'affichent.


2023-04-20 jeudi

 

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