Je suis née en Italie, dans le petit atelier d'un luthier de génie. Conçue avec tendresse par cet artisan passionné à partir de bois précieux et d'un savoir-faire ancestral je devins un instrument de musique au timbre unique. Je n'étais encore qu'une jeune mandoline, innocente et naïve, lorsque je fis la connaissance, de celui qui fut le grand amour de ma vie, un musicien à la voix d'or, beau et talentueux. Ce fut le coup de foudre entre nous. La caresse de ses doigts sur mes cordes fit chavirer mon âme, la suavité de mes notes l'ensorcelèrent aussitôt et pour sceller à jamais notre union, sur mon corps, il grava son nom.
Commença alors pour nous une vie merveilleuse, allant de ville en ville, de fêtes populaires en concerts, partout notre succès allait grandissant. Ma musique enchanteresse et sa voix de velours charmaient tous les cœurs. Les femmes, surtout, séduites par sa jeunesse et sa beauté, autant que par nos mélodies, se pâmaient d'aise en l'écoutant. Mais nous, nous ne vivions que pour notre art, j'étais son seul amour et lui le mien. Nous poursuivions notre chemin sous un ciel bleu ensoleillé, et les années s'écoulaient comme dans un rêve. Je ne pensais pas que ce bonheur pourrait avoir une fin. Et pourtant.
Ce fût une délicieuse créature aux cheveux d'or, aux yeux d'émeraude, au teint d'albâtre qui provoqua sans le vouloir le drame de notre séparation. Mon artiste, mon bien aimé, tomba fou amoureux de cette donzelle et se mit dans la tête de l'épouser. J'en avais les cordes qui en tremblaient d'émotion, mais je gardais espoir. Ce ne serait peut-être qu'une aventure passagère, un coup de folie, cela lui passerait bien un jour, d'autant plus que la famille, noble de surcroit, voyait d'un mauvais œil cette mésalliance avec un roturier, même s'il chantait comme un rossignol.
Enfin, le père décida finalement d'agir. Et malgré la supplication de sa progéniture, il fit ligoter le bel oiseau par ses sbires, avec ordre de le faire jeter à fond de cale sur un navire en partance pour les îles lointaines. Tombée sur le sol au cours de la bagarre, je restais là, abandonnée, au pieds de la jeune fille en pleurs. Nous n'étions plus que deux infortunées, accablées de chagrin, pleurant jour et nuit celui qui nous avait été si cruellement enlevé. Et les jours passèrent, ainsi.
C'est alors que, craignant pour la santé de leur unique enfant, les parents invitèrent un jeune marquis de leur connaissance, riche parti, séduisant de surcroît. Et ce qui devait arriver arriva. La demoiselle oublia bien vite son mandoliniste-chanteur, sécha ses larmes, épousa son nobliau et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
À la mort des parents, on vendit une grande partie du mobilier pour payer les droits de succession. Je me retrouvai, à cette occasion, toujours aussi éplorée, dans la boutique d'un antiquaire où les années continuèrent de s'écouler interminables.
Un jour un client entra, cette voix, je la reconnus tout de suite, mais non, ça ne pouvait pas être lui, ce petit vieux décrépit, tout vouté, plein de rhumatismes. J'avais tout simplement oublié les dégâts que pouvaient causer les outrages du temps chez les humains. Pendant tout ce temps, j'étais donc restée amoureuse d'une image aujourd'hui envolée, déchue. Désorientée, troublée, je ne savais plus où j'en étais.
C'est alors qu'il se mit à raconter sa vie. Eh bien, le croiriez-vous ? jamais il ne fit allusion à moi, pas un mot, rien, nada, comme si je n'avais jamais existé. Monsieur ne parlait que d'Elle, ne se souvenait que d'Elle. Cette greluche qui l'avait si vite remplacé par un autre. Et le plus beau dans tout ça c'est que depuis le jour funeste de leur séparation, accablé par le chagrin, Monsieur n'avait plus jamais chanté, la musique lui était devenue odieuse. Et moi, la pauvre cruche, qui continuait de penser à lui et de souffrir en silence, ressassant sans cesse le conte de fée de nos débuts, espérant je ne sais quoi comme une bécasse que j'étais. J'avais gâché toutes ces belles années pour rien, pour un ingrat. Alors là, je fus aussitôt guérie et pour toujours.
À partir de cet instant, je me résolus à ne plus jamais me laisser dompter par mes sentiments et de plus me laisser avoir aux sentiments par qui que ce soit. Ma première décision fut de faire effacer le nom, désormais honni, tatoué sur mon flanc. Puis, forte de mes nouvelles résolutions, je m’associais à un jeune talent prometteur appartenant à l'orchestre de l'opéra de Paris où mon timbre exceptionnel fut rapidement remarqué. Et ce fut le début de ma fulgurante carrière. Contacté par un chanteur en vogue, j'abandonnai le registre classique et la France pour enregistrer, à Rome, un disque de chansons populaires italiennes. Le succès fut immédiat. De plus en plus connue, ce fut ensuite l'Amérique qui me tendit les bras. Recrutée par un groupe de bluegrass, j'entamais là-bas une tournée triomphale à l’issue de laquelle je devins une vedette connue dans le monde entier.
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