Écrire Sur Partitions par Agnès

 

Il a posé son long instrument sur l’herbe grasse, se croyant seul, mais la forêt a des yeux, des yeux tapis, terrés, nichés, enfouis, perchés, blottis, dissimulés qui attendent, oreilles aux aguets. Il a pincé ses lèvres, gonflé ses joues pour libérer un son en majesté qui l’a enveloppé avant que de bondir de collines en collines jusque dans la vallée, au-delà des montagnes, des fleuves et des mers pour arriver rond, pur et clair chatouiller les esgourdes du petit peuple des forêts éparpillées sur la planète : korrigans, nains et lutins, ondines, fées, salamandre, sylphes et trolls emboitent le pas aux notes graves et profondes.

Dans la clairière, c’est l’effervescence, on fait place nette, renards et blaireaux balayent la place, sangliers et chevreuil à coups de groins et d’andouillers tractent les bois, les castors, appelés en renfort, montent, tables, tribune et gradins.

L’hirondelle de fenêtre en rocher, l’engoulevent ronronnant, l’hirondelle zébrant le ciel, la tourterelle roucoulante, le pivert becquetant tous sonnent le rappel : oyez, oyez, radio rougequeue : « Kr, Kr, Kr, Tu, Tu, Tu, Sit Tek, Sit Tek » : demain dès l’aube : 33ème Congrès Annuel des créatures Sylvestres.

Mme Laie s’en voit pour endormir ses petits marcassins surexcités et Mme Chouette ne ferme pas l’œil de la nuit.

Aux premières lueurs de l’aube, par tous les chemins, ils convergent vers le théâtre de verdure.  Le lynx prend le bras de sa biche, l’élégante hermine se mire dans les flaques, le lièvre et l’écureuil mettent leur trac sous clé, le héron charroie dans son bec, grenouilles, couleuvre, triton et salamandres.

Ça bruisse, ça caquète, ça cajole, ça glapit, un joyeux charivari mis en onde par un farfadet parfait en chauffeur de forêt, bondissant, sifflotant, brocardant, lutinant.

Le hibou monte en tribune, il étend ses ailes et le silence se fait : « Compagnons, merci d’être venus si nombreux accueillir le petit peuple des bois pour leur grand congrès annuel, c’est aussi un moment de partage où nous aimons à nous retrouver.

Quelques échos de notre belle forêt :

Attention, ça sent le sapin pour nos épicéas : le scolyte attaque, pensez à nettoyer vos parcelles.

Bonne nouvelle pour les sinistrés victimes de la dernière coupe blanche, ils ont tous été relogés. Bienvenue à la famille Félix, lynx réfugiés des montagnes de l’Altaï, bonne cohabitation à tous. Avis à la population des cervidés et des suidés : doucement sur la gaudriole, vous êtes en surnombre.

Félicitons la colonie des gendarmes qui a mis hors d’état de nuire le colonel Frelon et ses troupes de pyrale et de processionnaires.

Justice : La bande à corbeau a été mis en examen pour blanchiment d’argent : son activité de nettoyage couvrait en réalité un juteux trafic de bois de cerf.

Enfin nous rappelons que les bourgeons de sapin sont à consommer avec modération, une horde de chamois titubante a été contrôlée à plus de 1,2g/l.

Enfin, on reparle de la légalisation des champignons magiques au stand de l’ami Goupil cet après-midi. »

Brusquement, le vent se lève, les grands épicéas agitent leurs cimes comme des sémaphores, les ailes des faucons tournoient au-dessus de la clairière, digitales et muguets agitent leurs clochettes.

Solennel le hibou annonce l’entrée en scène du petit peuple et cède la place au cerf élaphe, superbe en queue de pie, il projette son poitrail blanc, jette son cou au ciel, et brame : « mi-mi-fa-sol-sol-fa-mi-ré-do-do-ré-mi-mi-ré-ré » puis obliquant ses bois, fait signe aux choristes, linotte et gélinotte entonnent : « Joie discrète, humble et fidèle qui murmure dans les eaux, dans le froissement des ailes et les hymnes des oiseaux. Joie qui vibre dans les feuilles, dans les prés et les moissons. Nos âmes frères t’accueillent par de naïves chansons » *.

Tom Bombadilom, veste bleue, botte jaune et plume au chapeau parait le premier, suivent les fées, les sylphes et les gnomes, gobelins et djinns ferment la marche.

Affamés, tous se hâtent vers le buffet : plantain et pâquerettes en méli-mélo, asperge sauvage à l’ail des ours, tapas de chanterelles, pain de châtaigne, croquants aux noisette, eau de rosée et jus de bouleau, sucettes de résine, confiture d’églantine, farandoles fraises et framboises.

A la tribune, Tom Bombadilom lance un long cri de détresse : Notre maison forêt est une grande dame malade, brûlée, scarifiée, empoisonnée, amputée, donnons la parole à nos petits ambassadeurs forestiers :

« Yannick, korrigan de Paimpont, en trois nuit, le feu a tout détruit, mon chêne à péri, la magie de Merlin n’a pas agi, la lande dépérit, c’est Abu Dhabi à Pontivy.

« Yao, griot du Congo, les hommes sont toqués du ciboulot, ils ont coupé tous mes cocotiers pour planter du cacao ».

« Nouck, puck de Phuket, les hommes sont tombés sur la tête, plus de teck, plus de gecko, tout baigne dans l’huile de coco pour faire avancer leurs charriotes du diable ».

« Anoki, Nukak de l’Amazone, les hommes ont la tête qui chaloupe, adieu tek, toucan et tatou, ils coupent la canopée et se coupent le souffle ».

« Anna, Baba Yaga de la Taïga, les hommes sont fadas, leurs monstres de fer ont éventré mes bois, les oiseaux ont désertés pas les soldats dans les tranchées terrés. »

Le vent emporte les plaintes, la pluie lave l’affront, le soleil sèche les larmes. On s’embrasse, on s’étreint, on se console, on se réconforte, la vie est la plus forte.

Au petit matin, un elfe est sorti d’une ruche, ses guêtres à la main, il a mis de l’ordre dans sa tenue, il a lissé ses ailes. Comment croyez-vous que naissent les libellules ?

Au petit matin, un serpent d’eau a enlacé une naïade. Comment croyez-vous que naissent les vouivres ?

 

* Poème de Friedrich Von Schiller

2024.04.18 jeudi 

Les Plumes remercient en chœur M'dame Béata,
 
  bibliothécaire musicale à la Médiathèque d'Oyonnax,
 d'avoir composée avec un soin sympathique une Liste Des Musiques fort agréable et inspirante.
 

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