Ma mère aimait écouter la radio et le pique-up, ses goûts avaient son âge, un peu éloignés des miens, mais j’aimais ma maman, nous avions en commun quelques interprètes – pas de ricanements dans l’assemblée, s’il vous plait – Joe Dassin, Georgette Plana, Bourvil, Luis Mariano et une pincée d’autres voix belles et fortes.
Ma mère aimait aussi danser à l’écoute des disques et des émissions radiophoniques les après-midis de ciel maussade, une façon de faire briller le soleil dans notre chez-nous. Pour elle, la danse suprême, la reine, l’impératrice était la valse viennoise, elle avait aussi un gourmand goût pour les chocolats viennois, les cafés viennois, toutes douceurs qu’elle savourait après les tours de piste, penchant qu’elle m’avait transmis. Maman aimait valser et le seul partenaire à disposition immédiate était moi. Ainsi les jours de pluie, de grand froid, à partir de quinze heures c’était bal au salon, les jours de beau ciel elle me laissait rejoindre la bande du quartier pour d’autres tours, plus malicieux, plus aventureux.
Nous passions une heure ou deux à tourner sur les inévitables musiques des Strauss, le Danube était bleu, l’empereur François-Joseph un peu gris poussière, les joues de ma mère rouges de tourner sans cesse et mes pieds douloureux de s’être trouvés trop souvent décalés des pas de mon infatigable danseuse. Lorsque la séance de danse en rond se terminait, ma mère m’embrassait joyeusement, j’avais fait ma bonne action et pouvait vivre libre le peu de temps libre qu’il me restait avant la soupe et le marchand de sable.
Jamais je n’ai avoué à mes copains mon calvaire autrichien, jardin secret ou honte inavouable ? Pas plus je n’ai développé le goût pour les danses de salon, de piste, de rue et pour les autres, toutes, pas d’accointance miraculeuse. Je suis une bûche chaussée de plomb incapable d’enchaîner deux pas sans en oublier un. La danse me fige, statue de sel je deviens. Je reste assis, c’est ainsi que je danse le mieux, oreilles grandes ouvertes, yeux mi-clos, mes pieds dans la posture possédés par l’esprit du rythme se libèrent, se déchaînent dans leurs chaussettes, les orteils gigottent, les talons frappent grosse caisse. Festival frénétique et ardent juste avec moi, pour moi.
Aujourd’hui, pourtant, refaire valses avec Maman… j’aimerai tellement.
2025.10.16 jeu.
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