Longtemps je lus pas.
Quel intérêt de passer du temps à ça ? Vraiment !
Et puis autre chose.
Longtemps j’ai détesté ma tante, pas celle aux gâteaux, non ! celle-ci je l’adorais. Je parle de l’autre, celle que je fuyais. Longtemps aux étrennes cette… cette… cette… enfin… cette-là m’offrait des livres ; et pas qu’un. Généreuse dans le poison elle était la vacharde. Alors il me fallait faire gentil neveu, l’embrasser sur les deux côtés du nez. Grinçant sacrifice. Douloureux souvenirs.
Il y eut l’école, celle où on lit, là, avec les autres, à voix haute. L’école encore, celle des maîtresses et des maîtres qui aimaient à suggérer des lectures aventures, des lectures nature. Je ne sais plus laquelle de ses blouses grises nous demanda (ordonna, peut-être) de lire « Le tour du monde en 80 jours » de Jules V. J’étais déconfit, l’angoisse de la tâche me serrait les tripes et le cou, j’étouffais (mon asthme aurait-il pris son envol à ce moment ?). J’ai souvenir que le roman fit profit, mon périple dura plus que les quatre-vingts jours annoncés dans le titre : commencé en octobre, j’en vis la presque fin en mai ou juin, mon ennui coulait sur les pages à la façon d’une mélasse épaisse. L’ordonnateur du labeur avait dû renoncer sans doute à faire un point régulier du voyage, d’autant que je n’étais pas le seul à trainer des yeux sur les pages du roman. Aux grandes vacances l’ouvrage aura fini au feu ; sans le maître au milieu, tout de même.
1972, des amis de mes parents m’accueillent quelques jours à Paris. Elle et lui travaillent. Je reste de longs moments seul chez eux, je n’ai guère à faire que lire ou regarder la tour Eiffel en attendant qu’elle penche à la Pise. J’ai emporté un livre, étonnant bagage. La tour en fer est stable, rien à espérer, le père Eiffel a bien œuvré, je m’installe pour lire.
« Olivier Twist », Charles Dickens ; 188 pages, vingt-et-un chapitre ; Librairie Charpentier, collection Lecture et Loisir, 1962, dos bleu et blanc. Il est précisé sur la page de garde : « d’après Charles Dickens ». J’embarque pour l’Angleterre, je le sais j’ai lu la quatrième de couverture J’espère qu’i’causent pas en anglais. Il me semble être tombé en amitié avec Olivier immédiatement. Sa triste histoire était pire que la mienne, de quoi trouver ma tante aux livres supportable. Pauvre garçon, abonné au catalogue de la malchance, ses rencontres avec des crapules me mettaient en rage, de quoi arracher les pages pour débarrasser son monde de la troupe de salauds qui lui cherchait des noises et même pire. Et puis à la fin mon copain trouvait le bonheur. Si c’est ça la lecture, je veux bien m’y mettre. (J'ai lu, relu (?), il n'y pas si longtemps, « Les Aventures d'Oliver Twist », dans sa version intégrale, en compagnie d'une cartouche de mouchoir.)
Alors je m’installai dans le cockpit avec Saint-Exupéry, « Vol de nuit ». L’aventure, les avions, le casque en cuir, les lunettes à facettes, le foulard au vent… À peine en l’air, je m’écrase au pied du lit. J’ai remisé le bouquin dans le hangar à zinc. Des mois ont passé avant que de poser à nouveau les yeux dans un livre. Première année de lycée, un professeur de français ouvrit les portes de ma perception à la chose romanesque, et mon frère grand se chargea de déposer les titres à l’entrée. Tous deux prénommés Jean-Luc, je leur dois de beaux voyages depuis mon lit, grands mercis à eux.
Depuis
je lis là ou ailleurs, pour être ici et ailleurs, pour voyager depuis sous la couette, depuis le fauteuil du Chat. Je pose les yeux sur la couverture-tableau des départs, la page de garde est le quai, je prends la ligne, blanche, ferroviaire, maritime, arienne, alors je trace de chapitre-gare en chapitre-gare jusqu'au terminus sans mot Fin, jusqu'à l'achevé d'imprimé. Parfois je me trompe de destination, je descends à la prochaine gare ou bien, intrépide lecteur, je saute dans la marge au milieu d'un paragraphe morne plaine. Je rejoins à pied la salle des pas-lus·pas-perdus voir les partances sur le point de sonner clochette, faire résonner sifflet. Prêt pour une autre découverte...
Je lis là, ici, ailleurs, jusqu’au jour où je liras mon nom à l’envers. À ce sujet il serait bon que je prévienne ma descendance de mon souhait emprunté à Michel Polac qui titra un recueil de chroniques de lectures « Mettez un livre dans mon cercueil », de quoi passer, un peu, le temps libre et les temps morts… Et pour la lumière, on fait comment ?
2024.12.12 jeu.
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