Il n’était plus rien, vivre à la rue, c’est ne rien être.
Congédié, chassé, oublié, c’est allé très vite comme une chute dans l’escalier, il aurait aimé ne jamais se relever.
Il a ramassé sa vie d’avant, l’a mise dans un sac et le sac sur son dos qui lui scie les épaules, remonter les marches, c’est lent et douloureux alors il marche, il est encore vivant mais il n’est plus rien : « je ne suis rien, je ne suis rien, je ne suis rien » le leitmotiv rythme ses pas, des journées à être invisible, à n’être qu’un obstacle à contourner sur le trottoir et l’œil d’Abel sur les consciences des passants.
« Ô rage, Ô désespoir, Ô vieillesse ennemie, n’ai-je dont tant vécu que pour cette infamie… » D’abord, il n’a pas compris, c’est venu comme ça, à la hâte dans sa tête…
« Ô cruel souvenir de ma gloire passée, œuvre de tant de jours en un jour effacé… » Des antiennes d’école d’un seul coup l’assaillent...
« Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis… » Il en est presque joyeux, tout à fait attendri…
« Car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plutôt de vous mercis. » Bon sang, on lui parle, qui sont ses alter poètes revenus du passé.
« Eh toi, tu veux gagner 3 roupies, j’vais m’en jeter un derrière la cravate, garde ma boite à bouquin le temps d’un demi et 5 euros pour toi ! » Le bouquiniste l’apostrophe sur le quai St Michel.
Il n’est plus, plus rien, il est responsable, responsable des livres. Et ça recommence :
« … Sous le pont Mirabeau coule la Seine et nos amours faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine, vienne la nuit sonne l’heure, les jours s’en vont je demeure… »
Sans s’en apercevoir, il déclame à haute voix, quelques gens s’agglutinent. Il plonge sa main dans la bibliothèque à ciel ouvert : « Notre Dame de Paris » Victor Hugo.
Alors, il en fait la lecture, ce n’est plus un attroupement mais une foule qui noircit le trottoir et bientôt la rue tout entière.
« …Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église, ce qu’ils voyaient était extraordinaire…Plus haut que la rosace centrale il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers…une grande flamme désordonnée et furieuse… »
Il était 18h20, un certain 15 avril 2019.
2024.12.12 jeu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
vous vous nous nous