À Ce Matin b. Une Suite… par Agnès

On frappe à ma porte, tout de suite je pense au tag croisé ce matin dans l’escalier après avoir acheté le journal : « Plus on accepte, pire on accepte » et qui avait dérangé mon petit confort d’irréprochable. J’ouvre, nul agent de sécurité mais, cachée derrière le cou d’un volumineux chat blanc immaculé une petite bouille d’ange, un casque de cheveux roux, un teint marmoréen, un regard vert teinté d’or et une bouche cerise qui chuchote : « Je m’appelle Anna, c’est mon papa, il a lu le journal d’aujourd’hui et maman a pleuré et il m’a dit de venir frapper et la milice est venue chez nous ».

Interloqué mais pressé de fermer la porte, je tire vers moi la petite qui ne doit pas avoir plus de 6 ans.

Je dégage la grosse masse brune de Poutine, mon chat, allongé de tout son long sur le journal et en commence la lecture :

À la Une « Très bon résultats de la dernière campagne de brunisation nationale : à l’instar de celle pratiquée il y a deux ans sur les chats, celle opérée sur les chiens couvrira largement la production d’Ingesta pour la subsistance de la population. »

Je passe la page des Faits Divers : « Vaste coup de filet sur une filière terroriste qui tentait d’écouler des ressources prohibées susceptibles de provoquer dans l’organisme de nos sujets de graves effets d’insubordination et de désobéissance »

Puis à la Page Pratique : « À paraitre au JO de décembre les nouveaux critères de sélection et de recensement obligatoire effectif au 1er janvier.

- Les plus de 50 ans contaminés par les vieilleries (idées, culture, coutumes, habitudes)

- Les mauvais éléments ayant volontairement manqué le recensement obligatoire de leur catégorie ainsi que ceux se livrant à la production et à l’exploitation d’œuvres et de ressources prohibées.

- Les intellectuels, scientifiques, artistes, créateurs, et autres dissidents ainsi que leur famille, contaminés par des idées contraires au régime. »

La petite fille reste muette, je continue :

Dispositions au 1er janvier : « Les personnes recensées dans le 1er trimestre de l’année qui s’achève et qui voit se terminer leur période de circulation réduite et de confinement devront se tenir à disposition des autorités brunes pour une prise en charge vers une destination non encore définie. »

« C’est là que Papa et Maman ont pleuré, m’ont embrassée et m’ont dit de venir chez vous avec Simone » m’interrompt-elle en soulevant légèrement la chatte blanche.

 Je comprends rapidement que les parents de la petite font partie de la 1ère vague de recensement et qu’elle n’a désormais plus personne d’autre que moi pour assurer son existence.

Reste à organiser notre vie, nous nous apprivoisons lentement mais insidieusement, c’est Anna qui métamorphose ma vie rassurante et ennuyeuse. Je crois que je me serai damné pour elle, je suis prêt à toutes les entorses voire toutes les infractions au Code de Conduite et plus je transgresse, plus je me sens vivant.

Pour elle, je passe le soir dans la clandestinité de la zone blanche pour ramener à ma princesse des livres de contes, des légendes d’autrefois, des petits plants de fraises, de tomate et de fleurs, des petits bijoux anciens, des fanfreluches multicolores, des tee-shirts à logo, des oursons guimauve, des poèmes de Prévert et d’Eluard, des chansons de Renaud et de l’Ami Georges.

Ce matin, je reviens, avec dans ma poche un petit moineau à moitié gelé, tiré du caniveau, l’appartement est plongé dans le noir. J’ouvre une persienne et je les vois, là, dans un carton vide d’Ingesta, Simone et les six petits chatons, blanc tâché de brun ou brun tâché de blanc comme il vous plaira, je déplie l’autre persienne, et là, je la vois, Anna, elle tient dans des doigts délicats, le septième chaton parfaitement brun, dans ses yeux, une lueur étrange, sur sa bouche cerise, un drôle de sourire. Je ne sais pas pourquoi, mais tout à coup j’ai craint pour l’oiseau…

2023.14.12 jeudi



 

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