Je Me Souviens De La Librairie... par Pascale


Je me souviens de la librairie Mille Feuilles.

Je dévalais les trois étages, longeais les immeubles, traversais la voie ferrée, marchais encore. La porte poussée, je retrouvais les livres bien rangés, le sourire de Madame Lucienne, l’épingle de son chignon, les fleurs de son kimono.

Madame Lucienne n’est pas japonaise. Née à Boulogne-sur-Mer, pourquoi est-elle venue s’installer dans notre petite ville au bord de la Saône, certes, mais loin de la mer ? Elle en connaissait un rayon, voire plus, sur les livres de sa boutique et donnait toujours, de sa voix mélodieuse, de bons conseils. Elle acceptait sans problème, qu’assis sur le plancher, le visiteur parcourt des après-midi entiers les livres trop chers pour son porte-monnaie. C’est ainsi que j’ai découvert les livres de peinture de la collection Skira : Rembrandt, Chardin, Toulouse-Lautrec, Bonnard, Modigliani...

Au moment de la fermeture, j’étais souvent la dernière lectrice. J’accompagnais alors Madame Lucienne au rayon Japon, pour un petit voyage en sa compagnie. Elle feuilletait, s’arrêtait, me dévoilait une photographie ou un dessin d’un lieu qu’elle rêvait de découvrir en vrai, puis ajoutait la lecture du petit texte d’accompagnement. Ainsi, le printemps, l’été, l’automne, l’hiver du Mont Fuji habitent au fond de moi. Puis, Madame Lucienne ouvrait un autre livre et me lisait un haïku de sa voix mélodieuse. J’écoutais, bercée, enveloppée avant l’échange d’un Au revoir À bientôt teinté d’émotion.

Une vie professionnelle, des déménagements, mes visites à la librairie se sont espacées puis arrêtées. À la retraite, Madame Lucienne a quitté le bord de Saône et retrouvé la Côte d’Opale. A-t-elle pu réaliser en vrai le voyage de ses rêves au Pays du Soleil Levant ? La librairie Mille Feuilles existe toujours. Un matin d’automne, j’ai poussé la porte, je suis entrée. Le plancher était vide. Le rayon Japon était toujours là : les mangas avaient remplacé les haïkus.

 

            Lotus effeuillés

            Poèmes effacés, novembre

            Et se souvenir

                  Matsuo Bashô (1644 - 1694)


Portrait de Bashô par Ogawa Haritsu,

Source illustration photographique :  https://www.nippon.com/fr/japan-topics/b07224/

extraite du site nippon.com qui précise "Avec l’aimable autorisation du Bashô-ô Memorial Museum"

2023.11.16 jeudi

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