À Ce Matin b. Une Suite… par Pascale

J’ouvre ma porte brune. Charlie est là, tremblant.

« Tu es au courant ? Tu es venu hier pour la belote ? »

J’agite mes boucles brunes en hochant la tête. Charlie entre, referme la porte.

Une fois installés dans le canapé, mon ami, agrippé à mon bras raconte...

Pendant que le milicien défonçait ma porte, j’ai eu le réflexe d’enfiler mon blouson brun et de planquer, dans la poche intérieure droite, la petite boîte de marrons glacés achetée la veille pour ton anniversaire.

« T’as eu un chien noir. Avant c’est maint’nant ! » Voilà ce que scandait la sale brute à chaque coup de matraque, dans l’escalier puis sur la route, pour me faire avancer.

Mon chien brun nous a suivis un peu avant le brusque demi-tour que mon regard lui imposait. Il ne m’a pas vu rejoindre la marche des personnes arrêtées par la milice. Arrivés à leur énorme fourgon brun, ces cinglés de miliciens y ont entassé leur butin humain en hurlant et en frappant. Sauf que pour les derniers de la file : moi et trois autres gars, plus de place. La sale brute a reçu l’ordre de nous conduire à pied au centre de détention. Il a pas apprécié l’abruti : « Pourquoi moi et pas un autre ? » qu’il disait. « Non négociable ! » a gueulé son chef brun avant de prendre le volant.

Alors on a marché. Une sale brute cognant, menaçant avec son flingue quatre pauvres mecs tout en les harcelant de questions : « Tu connais quelqu’un qui a eu un chat pas brun ? Et toi ? Et toi ? Un cochon d’Inde pas brun ? Un canari ? Un poisson rouge ? Réponds ! Réponds ! ». On se regardait tous les quatre pour se soutenir. J’ai failli craquer : tu vois ce que je veux dire ?

Soudain, une idée m’est venue : ne pas se laisser manipuler par cet abruti en mal d’avancement, le faire taire à tout prix. Alors, je lui ai tendu la boîte de marrons glacés cachée dans la poche de mon blouson. Là, on a halluciné ! Il a lâché sa matraque, s’est assis sur le bord de la route, a ouvert la boîte avec application. Ses gros doigts ont attrapé un marron avec délicatesse, ses yeux ronds ont contemplé le brun sucré. Il a dégusté, puis a attrapé un second marron avec la même application. La sale brute nous avait oubliés : un gamin gourmand l’avait remplacé. Nous quatre, nos regards se sont rejoints. Sortis de notre stupeur, on s’est éclipsés dans le bois, sans bruit. Plus tard, je te raconterai nos embûches et comment on s’est procuré de l’eau et de la nourriture. L’essentiel, c’est que le lendemain, on a trouvé une super planque. On a déposé nos corps endoloris, on a dormi un peu et surtout on a échangé. Je leur ai parlé de toi. Fuir : la seule solution. L’un des gars, un géographe expert, a choisi la destination : le Cap Vert ! Il essaie d’organiser au mieux l’itinéraire. Pars avec nous : ils sont d’accord. Ils nous attendent.

Mon ami a lâché mon bras. Je range dans mon sac à dos les quelques aliments qui traînent dans le placard et le frigo. J’enfile mon blouson brun : je garde, comme Charlie, mon portefeuille et mon porte-monnaie dans la poche intérieure gauche. J’ouvre la fenêtre, mon chat brun file sur les toits. Le jour se lève.

La porte brune fermée, nous descendons les marches, sans bruit. La route sera longue. Demain c’est mon anniversaire. 

2023.14.12 jeudi 


      

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