Caverne De Famille par Hug


On râlait tous, les gamines et les gamins, le jour de la rentrée. Après des semaines à courir de plaines en vallons, à grimper aux arbres, à sauter dans les gouilles d’eau tiède, à pourchasser mammouths et bufflons, il fallait se résoudre à reprendre le chemin du boyau menant à la salle de dessin.

 

GRRR’r, notre professeur d’art pariétal, était un maestro du charbon de bois mais il savait aussi du bout de ses doigts, des paumes de ses mains glissant sur les parois de la salle de classe, trouver la saillie, le creux, l’aspérité, toutes formes qui hausseraient le tracé, rendant vraie l’animal dessiné. Pourtant ses qualités picturales seraient restées bien fades sans sa grande expérience de la lumière et de ses jeux, il maitrisait l’usage de la torche de résine au point de rendre vivant le bestiaire représenté.

J’ai le souvenir de notre première séance dans la salle des chevaux, GRRR’r nous laissa dans l’obscurité froide un long moment, puis attisant le feu d’une paire de fagot de branchettes il engagea une danse au pied de la paroi décorée et des mouvements de bras rythmés. Alors nous avons vu le groupe de chevaux s’animer, les crinières flottaient, les muscles vibraient, les naseaux fumaient, l’écho des hennissements envahit l’espace de notre caverne. Les feux moururent, l’obscurité revint mais dans nos yeux les chevaux courraient encore.

GRRR’r était un grand maitre avec un caractère d’auroch, une tête de silex et la patience du tigre à dents de sabre en période de disette, au moindre chuchotement il GRRR’rognait et jouait de la massue sans réelle tendresse, il justifiait sa rude pédagogie en nous mimant, un autre de ses talents, quelques douloureux épisodes de son apprentissage auprès d’un artiste de l’école de Néandertal. À cette époque les progrès dans l’art pariétal se jouaient aux pavés natures, les blocs de granit bruts volaient dans l’espace à la façon de la boule de lumière qui traverse tous les soixante-seize années le ciel étoilé.

Nous débutions notre dixième niveau, celui de la maitrise de la ligne sobre et sombre. Un nouveau parmi nous, venu de région nord, trouva heureux d’affiner le contour de son trait, à la fois en largeur et en netteté, en faisant une sorte de ligne claire qui retenait malgré sa finesse les couleurs appliquées à l’intérieur des surfaces dessinées. Cette liberté dans l’exécution eut pour effet un énervement magistral de GRRR’r parsemé de jurons gras comme des mammouths. Le novateur se tut prenant soin de laisser de nombreux croquis sur des galets d’esquisses, comme autant de notes pour la saison suivante.

 

Maestro GRRR’r avait des idées simples pour inspirer nos dessins, il nous demanda de raconter, à coup de boules de glaise et de branches calcinées sur les pans de pierre, nos dernières vacances. Nous devions projeter au mieux sur les parois des épisodes de jeux de plein air.

Les saisons d’exercices nous avaient rendus habiles, assez. Dans un coin de la salle restaient, pour témoignage de nos débuts, nos mains ocrées apposées, un jeu d’enfants que nous regardions avec un sourire tendre, un peu moqueur parfois.

Ce matin-là la chose était sérieuse, la demande de GRRR’r sans accommodement possible : du beau boulot, du vrai reportage qui bouge qui bruisse, qui dresse les poils du corps tout raide. Sinon… la massue.

 

Nous y avons passé du temps à la lueur des torches odorantes, réchauffés par un feu de sol poussif qui enfumait l’espace. Le Maestro passait auprès de chacun, sous sa barbe se dessinait souvent un sourire bienveillant, ses sourcils épais se relevaient sans colère, simplement pour marquer l’étonnement heureux : nous avions grandi, nos gestes avaient pris assurance, nous avions progressé, et pas qu’un peu.

 
2025.04.17 jeu.
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