Instrumentautobiographie par Monique

 
Bonjour mesdames, bonjour messieurs,

 

Je suis honoré, moi le vieux piano bastringue, d'avoir été invité à cette conférence, devant un public aussi nombreux. Si je suis ici, c'est pour vous raconter l'histoire de ma vie.

Je suis né dans un atelier d'une petite ville de l'ouest américain. Peu de temps après ma construction, un charriot vint pour m'emporter, en plein Far-West, où je fis connaissance avec mon premier employeur, le propriétaire d'un saloon.

On m'installa dans la grande salle. J'étais émerveillé par tout ce qui m'entourait : l'immense lustre de cristal aux pampilles scintillantes, le bar et son immense miroir, les tables et les chaises au bois clair et vernis, la scène et son rideau écarlate.

Puis ce fut l'heure de l'ouverture et les cow-boys vinrent s'installer pour boire et jouer au poker. Lorsque la salle fut assez bien remplie, le spectacle commença. Les danseuses entrèrent en piste avec leurs boas et leurs plumes.

Pour ma première prestation, je voulus leur en mettre plein la vue et j'attaquais un french cancan endiablé. Ah ! comme elles levaient bien les jambes en faisant voler leurs jupons. Le public tapait du pied en cadence tout en sifflant et applaudissant. Au milieu de cette folle ambiance, je perdis toute contenance. Je m'emballai et montais crescendo de plus en plus haut dans les aiguës, tant et si bien que je fis exploser le grand lustre, le miroir, une vingtaine de bouteilles et un grand nombre de verres encore plein provoquant ainsi la colère des buveurs qui dégainèrent leurs colts et se mirent à tirer en tous sens. Les danseuses criaient, les balles sifflaient autour de moi. On m'empoigna sans ménagement et on m'expédia dehors manu militari sous un flot d’insultes et de quolibets.

Je me retrouvais seul abandonné au bord du chemin sous une pluie battante. Qu'allais-je devenir ? J'étais là, frigorifié, claquant des touches à tout va, lorsqu'une charrette s'arrêta. Ce fut la chance de ma vie, récupéré, séché, astiqué par mon sauveur, un brocanteur, je fus racheté par le directeur d'une salle de spectacle d'une grande ville. C'était le début du cinéma muet et ce fut aussi mon heure de gloire. Les gens se précipitaient pour voir les films de Charlot, Harold Lloyd, Buster Keaton. Je rythmais l'action en déversant sur mon auditoire une multitude d'airs gais et entrainants. Mais il n'y avait pas que des comiques, on venait voir aussi Rudolph Valentino, Douglas Fairbanks, mes mélodies devenaient alors tendres et romantiques. C'était la belle époque, je nageais en plein bonheur.

Alors vinrent les années noires, avec l'arrivé du cinéma parlant je me retrouvais au chômage, remisé dans un vieil hangar poussiéreux. Je végétai ainsi durant cinq ans.

Un jour on vint me chercher. Après un long voyage, j'arrivais aux studios d’Hollywood où je fus engagé comme figurant dans des western. Regardez bien dans les scènes se passant dans un saloon, le piano que l'on aperçoit en arrière-plan, eh bien oui ! c'est moi. J'ai joué avec nombre d'acteurs célèbres : Audie Murphy, John Wayne, Gary Cooper, James Steward et tant d'autres. J'avais enfin renoué avec le succès et ma vie fut un long fleuve tranquille.

Puis la mode changea, les cow-boys ne faisant plus recettes, je me retrouvais de nouveau sans emploi, abandonné au fond d'un magasin d'accessoires. Et les ans ont passés, innombrables. L'humidité endommageait le beau bois de ma caisse, rouillé mes cordes, anéanti tous mes espoirs. J'attendais tristement la fin, moi, pauvre vieille chose, devenue décrépite et inutile.

C'est alors qu’un jour, le chef accessoiriste entreprit de vider l'entrepôt des objets devenus encombrants, quand il me vit, il resta longtemps perplexe et hésitant, puis s'en alla téléphoner. Il revint plus tard avec un antiquaire qui estima que j'avais une grande valeur malgré mon état lamentable. En effet, je suis un modèle rare dont il ne reste plus aujourd'hui que quelques exemplaires au monde. Alors on me restaura, et je suis actuellement, tel que vous me voyez, un des fleurons du Musical Instrument Museum de Phoenix en Arizona.

 

Voilà donc mon histoire avec ses joies, ses peines et sa fin heureuse. J’espère qu'elle vous a plu, merci pour votre attention. Je retourne maintenant aux États-Unis où j'espère avoir un jour le plaisir de votre visite.

2025.04.17 jeu.
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