Je suis Harpe, je suis un peu cordiste, j’en pince pour elles, les cordes qui entre mes bras se tendent et vibrent en harmonie sous les doigts attentionnés d’instrumentiste habile à les accorder.
J’ai l’âme rêveuse, ma voix claire, en chantant, s’envole dans l’espace, enchantant l’auditoire émerveillé.
D’aspect frêle, robuste je suis pourtant, j’ai le pied ferme, je sais garder ma place à l’orchestre, là où je suis, je reste, impassible aux vents des vents, mon ossature lourde surprend souvent le régisseur novice et reste source de trauma pour l’épaule sur laquelle je m’appuie pour rendre hommage à la musique. Je peine à m’installer en avant-scène, peu de compositeurs ont écrit pour ma voix, suis-je si transparente ? J’en conviens de face je manque d’épaisseur, le violoncelle me cache presque et la contrebasse me masque tout en entier, mon mollet et mon pied sont larges pourtant. Et de profil ? vue ainsi je suis légèreté, trop, la finesse de mon cordage fait les regards me traverser sans me remarquer.
Certains fâcheux me prennent pour un cadre mal-fichu incapable d’accueillir de l’académique. D’autres voient en ma géométrie atypique, ni carré, ni rectangle, ni trapèze, l’œuvre de modernes artistes, Picasso, Bacon et d’autres zigzageurs sur toile. Je fus même élevée au rang de lyre molle en écho aux montres de Dalí. Il n’en reste pas moins que j’aime la peinture, dans ma famille certains individus vécurent en aristocratie, en royauté dans des familles historiques. Ces harpes-là avaient leur bois décoré de scènes champêtres, de riches ornements, voire doré à la feuille, de telles ascendances offrent à se hausser de la caisse de résonance, hé bien pas, pas moi, je reste modeste dans mon apparence, bois naturel, sans fioritures, et humble dans mon maintien.
Les soirs de concert, quand par bonheur je suis l’unique accompagnatrice attentive de voix humaine bien placée, je me rêve navire à voile bercé sur mer calme à peu agitée, mon cordage est hauban, je me pare de toile de maître tisserand et navigue en partitions sans roulage ni tangage, avançant sur d’harmonieuses ondes musicales. Les doigts de mon instrumentiste, la voix soliste s’unissent et tirent de moi des vibrations touchant au divin, notre équipée est heureuse et cela s’entend, cela se voit, la foule fait mouvement au rythme de la mélodie, devant moi une mer étale ses écumes d’émotion, le bonheur m’envahit.
Et puis, après les applaudissements que je partage sans retenue avec mon équipage, vient le moment de partir vers d’autres ailleurs, d’autres océans, d’autres continents. La chose est malaisée, je me retrouve enfermée dans une caisse apprêtée. À la fois j’en souffre, ne pouvoir contempler les chemins du monde me peine, et j’en suis rassurée, ma manière de sarcophage me protège d’incident de parcours et me fais pharaon voyageur.
Je sais que, bientôt, l’horizon passé, sur la scène une fois installée, je vais à nouveau rayonner.
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