St Denis tinte cinq heures, je hurle sans réveiller le bourgeois, je vais noyer mon chagrin dans la première rade ouvert. Sous la lune rousse, la Grand-Rue m’est un chemin de croix.
Sur le plateau, avant les pentes, au bord de la ville des lumières, un lumignon cher à mon cœur vient de s’éteindre, par-dessus le Gros Caillou, s’envolent les derniers mots de Mamilyon :
« Bientôt je m’en irai chercher un grand peut-être ».
Je traverse le boulevard, enquille la rue Sainte Clothilde, recevez Mamilyon en vôtre paradis.
Au mitan, une porte claque, des semelles clappent, six marches, suivent des pas dans mon dos. La nuit ouvre l’oreille, je presse l’allure sur les pointes, à la muette. Rue de l’Alma, de nouveau les pas, secs, tapés, inquiétants, je me jette sur les raidards, en descente, 140 marches, vite, mais chute interdite, en bas, le silence...
Place Colbert, l’odeur du pain cuit sort du soupirail, je reprends l’air, un vélo passe, j’expulse l’angoisse, regard en périscope. Passage Pouteau, les pas, les mêmes, plus près, frappés, coupe-gorge, je rentre la tête dans les épaules, la foulée se rapproche, obsédante, angoissante, je fais volte-face, l’ombre disparait sous un porche, souffle court, je ne respire plus, je suis morte, passez votre chemin, passez à travers moi, je n’existe plus, je suis un mirage, trouvez une autre proie. Rue Saint-Claude protégez-moi. Rue Imbert-Colomès, je serre les fesses, rue Capucin, plus rien, mon talonneur est un passe muraille, au bout de la rue Romarin, comme un phare dans la nuit, le bar, sa lumière blafarde éclaire le pavé mouillé, je hâte le pas…
La patronne, large, épicène, le giron consolant, la fin du cauchemar, la béquille à portée de main, l’inconnu bondit de la coursière juste devant moi, j’abdique, il lève le bras, le pose sur la clinche :
« Après vous » dit-il dans un large sourire essoufflé en ouvrant la porte du cani, je prends en pleine face une bouffée chaude de café et d’alcool.
« Douze minutes cinquante-quatre, record battu » lance la taulière.
« J’en étais sûr, grâce à vous Mademoiselle, une belle foulée ma foi » dit-il à mon adresse.
Devant mon air ébahi, il s’explique :
« Tous les matins avant de prendre mon service, de chez moi, j’attends qu’un passant descende les pentes, c’est mon leurre comme dans une course de lévrier, lui prend la voie classique, je le piste en prenant toutes les traboules, quatre kilomètres en plus pour arriver au même endroit en même temps, vous avez failli me coiffer au poteau mais grâce à vous j’ai amélioré ma perf. »
« Tu lui a surtout fait une sacrée trouille à la demoiselle, nigaud, la prochaine fois, évite les jeunes filles. Pour la peine, offre-lui un verre » dit la taulière.
« Champagne » dis-je sans me démonter, pour la frayeur et Mamilyon qui vient d’entrer au Grand peut-être.
2025.09.18 jeu.
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