La Nuit Était Sourde,... par Michèle


La nuit était sourde, Victor l’était aussi. Depuis bien longtemps il avait renoncé à porter ses appareils auditifs. Ceux-là lui apportaient plus d’inconvénients que d’avantages : toujours en panne, pas le temps de courir les faire réviser. Au moins, ça lui évitait d’entendre les propos graveleux de ses compagnons de boulot. Il hâta le pas, le travail n’attend pas, le patron encore moins.

Les rues menaient au café mais depuis longtemps il avait renoncé à le boire, ce petit noir censé remonter le moral et bien démarrer la journée. Depuis quelques mois, son estomac lui jouait des tours, plus de café, plus de boissons alcoolisées. Les plaisirs de la vie se faisaient de plus en plus rares. Victor pressa le pas.

Le pavé renaissait dans les aubes de zinc, le jour se levait péniblement, tout comme lui. Chaque matin, il trouvait de plus en plus laborieux de se lever, se préparer. Arrivé devant le café, il en était là de ses interrogations, ses doutes, ses incertitudes. Il contempla son reflet dans la vitre du bistrot. La lumière venant du zinc produisit comme un déclic dans son cerveau, une sorte d’illumination soudaine. Alors, il fit demi- tour, remonta la rue. La nuit n’était plus aussi sourde, la circulation reprenait petit à petit. Mais Victor comprit ce jour-là que le mieux à faire était de retourner se coucher. A défaut de recommencer une nouvelle journée si semblable à toutes les autres, il choisit de prolonger sa nuit.

 

2025.09.18 jeu.

« La nuit était sourde, les rues menaient au café, le pavé renaissait dans les aubes de zinc… »
[Phrase attrapée dans La Bonne Peinture, nouvelle contenue dans le recueil Le vin de Paris (page 243, Éditions Gallimard coll. folio.]
.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

vous vous nous nous