Il Est Trisme Ce Matin... par Hug

 

C’est vrai qu’hier en sortant du taktuk j’ai filé à la chambre fissa. C’est vrai que la peur de l’avion me fait boire dans l’avion, et beaucoup, et pas que du jus de nuages. Dans l’avion ? Tout était normalement compréhensible, les indications en helvète occidental, méridional et en anglais suffisaient à me faire comprendre que « É pericoloso sporgersi ! »

Ce matin, la salle de bain n’est pas cabine d’avion, j’ai un doute, une hésitation : les étiquettes ne me disaient rien. Non pas qu’elles soient muettes, elles me faisaient des signes jolis, avec des boucles serpentines, mais la langue des signes, de ceux-ci, m’était inconnue. Je fis ce que j’avais à faire, pas besoin de d’interprète.

Le moment du p’tit déj’ se passa sans embarras : à boire, à manger, en couleurs, bien rangées toutes choses se suffisant elles-mêmes.

Le projet du matin était de déambuler dans le quartier. Découverte, curiosité, pour voir, pour sentir, en apprendre sur cette ville où je devais passer… combien déjà ? À l’office je trouvai un plan, un unique exemplaire avec les mêmes arabesques vues plus tôt à la salle de bain. J’interroge la réceptionniste à propos de la gare, de l’hôtel de ville. Elle me regarde les sourcils en v. Je répète. Mimique idem. « Tchou-Tchou !!! » Un sourire en réponse, elle lève un bras et m’indique une direction, puis une autre, son poignet est souple, ses bras sémaphores s’animent vers la gauche, vers la droite en passant par ce qui doit être une forte montée. Elle sourit toujours et fait claquer sa langue au palais. J’ai un plan, je sais faire la locomotive, je devrais trouver la bonne voie.

C’est dans la rue que tout m’est tombé sur la tête : les affiches, les vitrines, les indications de circulation, le panneau de l’hôtel. Incompréhension ! Appeler ma Maman n’aurait pas été bien efficace. Au coin de la rue une étale de nouvelles fraiches, s’y présentent revues arc-en-ciel miroitantes et journaux couleur saumon. J’arrache un journal au ban, le geste fait sérieux, il rassure surtout le naïf voyageur que je suis, il est certain qu’il doit être question du pays d’où je viens.

Là, sur le papier, brillante, encore humide l’encre sèche et me fait comprendre je ne n’y comprends rien. Je ne réussis à attraper aucune lettre, aucun signe, peut-être un point, là. Je relève la tête, le marchand de nouvelles fraiches me sourit comme pour m’assurer que cette journée est belle. Il me tend une autre liasse de saumon, me dit une chose, ou plusieurs, il parle longtemps. Mes yeux se percent et vident leur humeur saline sur un labyrinthe sombre de signes entortillés qui se diluent sous mon averse. Je laisse glisser le journal, je regarde autour. Partout, partout les mêmes signes, partout des mêmes gens aux mêmes sourires de même journée belle.

 

Qu’est-ce que je fais-là ?

Je ne sais plus, ni pourquoi, ni comment.

Je me souviens de la remarque joyeuse que m’a faite, la veille de mon départ, le type en costume rapiécé assis derrière un grand bureau sombre : « vous verrez, c’est un pays dont on ne revient pas ! »

2024.10.17 jeu.

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