Caverne De Familles par Michèle

Aujourd’hui, c’est jour de fête dans notre grotte de Lascaux. Ce jour arrive lorsque la neige a fondu, les fleurs ont éclos, les animaux qui s’étaient réfugiés au fond de notre grotte sont sortis d’hivernation et ont quitté le fond de notre caverne. Ayant dû passer la mauvaise saison devant l’abri sous roche à alimenter jour et nuit notre foyer, nous pouvons maintenant nous enfoncer plus à l’intérieur. Pour fêter ce moment, les festivités vont durer plusieurs lunes durant lesquelles les hommes et femmes artistes de notre tribu s’apprêtent à peindre sur les parois les animaux de notre entourage.

Ainsi, nous leur rendons hommage, ils nous côtoient, à la fois nos colocataires, gibiers, prédateurs, sans qui nous ne pourrions pas vivre. Ils nous permettent de manger, nous vêtir, nous les respectons et ne les tuons que par nécessité. Dans notre tribu, deux femmes et deux hommes ont ce pouvoir de les représenter, leur talent a été reconnu par l’ensemble de notre groupe. Pour cette fête, nous avons tous revêtu nos plus beaux vêtements en fourrure pour honorer ces animaux. En portant leurs peaux nous nous identifions plus facilement à eux et le pouvoir des artistes s’en trouve décuplé.

L’oncle Pébroc, qui passe son temps à redouter les orages, est à son aise à l’abri au fond de notre grotte, déjà fin prêt avec ses ocres diverses, charbon de bois, pinceaux en poils d’animaux… Les artistes ont passé beaucoup de temps à préparer leur matériel lors de la mauvaise saison. Les porteurs de torche dont le rôle est crucial sont également en place. Nous, les enfants, assis en silence, nous admirons les artistes choisir avec soin les parois, se servir de leurs volumes pour tracer d’un coup de main habile la forme d’un animal. Et, sous nos yeux émerveillés apparaissent des chevaux au galop, des lions, cerfs, bisons, taureaux. L’oncle Pébroc qui est un fin chasseur aime bien faire figurer de temps en temps un détail d’une chasse qu’il nous a déjà contée et mimée maintes fois au cours de la mauvaise période. Quelquefois, nous avons l’autorisation de tremper nos mains dans l’ocre rouge puis de l’appliquer par endroits. Mais les peintures rupestres, ce n’est pas tout.

Après le temps de glace et ce temps de fête, il faut songer à chasser de nouveau et nous, les enfants, avons notre rôle de rabatteur à jouer.


Je commence à m’entraîner à peindre et sculpter des galets plats trouvés au bord de la rivière. C’est sûr, plus tard, je serai artiste comme l’oncle Pébroc.

 
2025.04.17 jeu.
.

 

Instrumentautobiographie par Michèle

 
Bonjour, je suis « bandonéon », une sorte de petit accordéon, instrument à vent, à soufflet et à clavier. D’où vient mon drôle de nom ? Je ne sais pas trop, j’ai ouï dire peut-être du nom de mon créateur d’origine allemande. L’important, n’est-ce pas, c’est que j’existe. C’est vrai que les grands musiciens ne m’ont pas choisi, moi, le parent pauvre, le simple piano dit « à bretelles ». Mais je ne l’envie pas, lui, mon lointain cousin, le piano droit ou à queue, le privilégié de tous les grands compositeurs. Il est intransportable, il finit souvent abandonné dans le coin d’un salon, simple meuble parmi d’autres, ou pire encore dans une gare, livré à n’importe qui.

Regardez-moi ! Je suis petit, très malléable, je me plie et me déplie avec délectation, mes sons sont joyeux, entraînants, on peut m’emporter facilement. Adoré depuis toujours par les Français dits « moyens », je suis capable de faire danser les foules en toute occasion : un bal, un mariage, une fête de village…

Tenez, ce dernier cirque de passage, eh bien, j’y étais, entre les mains du clown blanc, m’avez-vous reconnu ? Qui a durant des années animé le Tour de France, entre les mains expertes d’une Rousse très connue ? Mon frère l’accordéon, mais je m’identifie complètement à lui, malgré nos quelques différences. Cet ancien Président en jouait également très souvent.

Bref, je voyage sans problème, je sais me faire tout petit, m’adapter à n’importe quel utilisateur, j’ai fait mon chemin parmi les grands et les petits. Quel plaisir de m’étirer, me replier, mes sons montent, descendent, suivant comme on grattouille mes touches. Les spectateurs ne restent pas insensibles à mon charme, ils m’accompagnent souvent en chantant et en dansant.

Bref, bandonéon je suis, bandonéon je resterai.

 
2025.04.17 jeu.
.

 


Caverne De Famille par Monique

 
Dehors il pleut à verse. Accroupi, avec mon clan, autour du feu, où rôtit lentement une cuisse de mégacéros, je laisse vagabonder mon esprit. Promenant mes yeux sur les fresques qui ornent les murs de notre caverne, je me souviens des jours anciens de notre installation.

 

La famille s'étant agrandi, il avait fallu trouver un espace de vie plus vaste. Grâce à l'agence immobilière quaternaire 21, nous avons pu trouver le logement de nos rêves. Mais avant d'emménager, il fallait d'abord peindre les murs.

Nous nous rendîmes donc en famille chez Cro-Magnon Bricolage, où il y avait justement de nombreuses promos. Le vendeur nous proposa des pochoirs en peau d'iguanodon, très facile à utiliser par des hominidés n'ayant atteint qu’un niveau peu élevé dans l'échelle de l'évolution. Une fois appliqué sur le mur, il suffisait de remplir chaque zone par la couleur indiquée. Pour la palette, peu de choix : de l'ocre, de l'ocre jaune, de l'ocre rouge et du noir de suie pour souligner les contours, donc très peu de risque de se tromper. Enfin pour ce qui est des motifs il nous fit remarquer que le top tendance était la fresque écolo, les scènes de chasse c'était has-been, beaucoup trop barbare, bon pour des australopithèques attardés, que l'homo erectus moderne se devait de vivre en harmonie avec la nature. Il nous proposa donc de nombreux modèles d'animaux, seul ou en groupe courant en toute liberté.

 

Nous nous mîmes d'accord sur un troupeau de chevaux et d'aurochs mélangés galopant de concert.

Le lendemain toute la famille se mit au travail et, catastrophe, même l'arrière-grand-père Paléo Pic Lascaux voulu y participer. Le pauvre, il n'arrivait même pas à maintenir son cache dans la bonne position, il le laissait fréquemment tomber et comme il n'y voyait plus très clair pour le remettre en place on voyait naitre sur la paroi, ici un cheval à huit pattes, là un autre avec la tête au milieu du ventre, plus loin un taureau avec les yeux au sommet des cornes. Mais finalement ces créatures bizarres, distribuées au sein de la fresque dans un ordre aléatoire, rompaient la monotonie de l'ensemble et lui donnait un air avant-gardiste.

 

Par le bouche-à-oreille notre grotte devin célèbre au sein des tribus voisines. Puis le succès allant grandissant c'est de partout que l'on venait pour la visiter. Nous avons même eu un article de plusieurs pages dans Caverne & Décoration. Aujourd'hui encore nous accueillons un public nombreux, et chaque fois que mes yeux se posent sur ces murs peints, je repense à mon ancêtre qui sans le vouloir a assuré la prospérité de toute sa descendance.

 
2025.04.17 jeu.
.

 

Instrumentautobiographie par Monique

 
Bonjour mesdames, bonjour messieurs,

 

Je suis honoré, moi le vieux piano bastringue, d'avoir été invité à cette conférence, devant un public aussi nombreux. Si je suis ici, c'est pour vous raconter l'histoire de ma vie.

Je suis né dans un atelier d'une petite ville de l'ouest américain. Peu de temps après ma construction, un charriot vint pour m'emporter, en plein Far-West, où je fis connaissance avec mon premier employeur, le propriétaire d'un saloon.

On m'installa dans la grande salle. J'étais émerveillé par tout ce qui m'entourait : l'immense lustre de cristal aux pampilles scintillantes, le bar et son immense miroir, les tables et les chaises au bois clair et vernis, la scène et son rideau écarlate.

Puis ce fut l'heure de l'ouverture et les cow-boys vinrent s'installer pour boire et jouer au poker. Lorsque la salle fut assez bien remplie, le spectacle commença. Les danseuses entrèrent en piste avec leurs boas et leurs plumes.

Pour ma première prestation, je voulus leur en mettre plein la vue et j'attaquais un french cancan endiablé. Ah ! comme elles levaient bien les jambes en faisant voler leurs jupons. Le public tapait du pied en cadence tout en sifflant et applaudissant. Au milieu de cette folle ambiance, je perdis toute contenance. Je m'emballai et montais crescendo de plus en plus haut dans les aiguës, tant et si bien que je fis exploser le grand lustre, le miroir, une vingtaine de bouteilles et un grand nombre de verres encore plein provoquant ainsi la colère des buveurs qui dégainèrent leurs colts et se mirent à tirer en tous sens. Les danseuses criaient, les balles sifflaient autour de moi. On m'empoigna sans ménagement et on m'expédia dehors manu militari sous un flot d’insultes et de quolibets.

Je me retrouvais seul abandonné au bord du chemin sous une pluie battante. Qu'allais-je devenir ? J'étais là, frigorifié, claquant des touches à tout va, lorsqu'une charrette s'arrêta. Ce fut la chance de ma vie, récupéré, séché, astiqué par mon sauveur, un brocanteur, je fus racheté par le directeur d'une salle de spectacle d'une grande ville. C'était le début du cinéma muet et ce fut aussi mon heure de gloire. Les gens se précipitaient pour voir les films de Charlot, Harold Lloyd, Buster Keaton. Je rythmais l'action en déversant sur mon auditoire une multitude d'airs gais et entrainants. Mais il n'y avait pas que des comiques, on venait voir aussi Rudolph Valentino, Douglas Fairbanks, mes mélodies devenaient alors tendres et romantiques. C'était la belle époque, je nageais en plein bonheur.

Alors vinrent les années noires, avec l'arrivé du cinéma parlant je me retrouvais au chômage, remisé dans un vieil hangar poussiéreux. Je végétai ainsi durant cinq ans.

Un jour on vint me chercher. Après un long voyage, j'arrivais aux studios d’Hollywood où je fus engagé comme figurant dans des western. Regardez bien dans les scènes se passant dans un saloon, le piano que l'on aperçoit en arrière-plan, eh bien oui ! c'est moi. J'ai joué avec nombre d'acteurs célèbres : Audie Murphy, John Wayne, Gary Cooper, James Steward et tant d'autres. J'avais enfin renoué avec le succès et ma vie fut un long fleuve tranquille.

Puis la mode changea, les cow-boys ne faisant plus recettes, je me retrouvais de nouveau sans emploi, abandonné au fond d'un magasin d'accessoires. Et les ans ont passés, innombrables. L'humidité endommageait le beau bois de ma caisse, rouillé mes cordes, anéanti tous mes espoirs. J'attendais tristement la fin, moi, pauvre vieille chose, devenue décrépite et inutile.

C'est alors qu’un jour, le chef accessoiriste entreprit de vider l'entrepôt des objets devenus encombrants, quand il me vit, il resta longtemps perplexe et hésitant, puis s'en alla téléphoner. Il revint plus tard avec un antiquaire qui estima que j'avais une grande valeur malgré mon état lamentable. En effet, je suis un modèle rare dont il ne reste plus aujourd'hui que quelques exemplaires au monde. Alors on me restaura, et je suis actuellement, tel que vous me voyez, un des fleurons du Musical Instrument Museum de Phoenix en Arizona.

 

Voilà donc mon histoire avec ses joies, ses peines et sa fin heureuse. J’espère qu'elle vous a plu, merci pour votre attention. Je retourne maintenant aux États-Unis où j'espère avoir un jour le plaisir de votre visite.

2025.04.17 jeu.
.

 

Instrumentautobiographie par Michel

 
Je suis gros, obèse, tout en rondeurs. Je jalouse mes voisins comme le violon avec son corps de rêve, fin, élégant, un physique de star.

Franchement, qui m'a doté d'un corps aussi imposant que mon concertiste soit obligé de me maintenir entre ses jambes, assis qui plus est, pour éviter que je bascule comme un culbuto.

Mais... ne vous fiez pas aux apparences, écoutez le son plaintif de mon voisin le violon, qui pleure, qui hurle, qui grince des dents chaque fois que son bourreau lui transperce les cordes vocales avec son archet, d'un geste plus ou moins leste. On dirait qu'il agonise.
Franchement, ses plaintes m'exaspèrent.

Alors que moi, avec mon air de quelqu'un qui aurait besoin d'un régime sévère, lorsque l'archet m'effleure, le monde s'arrête de tourner autour de moi.
Le son doux, rond, mélodieux que je laisse échapper du plus profond de mon être vous transporte, et vous oubliez tout. 
Tout ne devient que bonheur, grâce, silence autour de vous. Seules comptent les notes légères, harmonieuses, aériennes qui s'élèvent au-dessus de vos têtes.
 
Je vous vois lorsque vous fermez les yeux pour mieux apprécier les douces mélodies quand mes cordes vibrent à l'unisson pour vous emporter dans mon monde, dans un monde, dans un ailleurs....
Je vois votre tête qui oscille de droite à gauche, lentement, pour battre la mesure, pour suivre le rythme. Je vous observe.

Où êtes-vous ? Volant dans le ciel parmi les oiseaux ? Sur un bateau qui vogue sur l'eau et se laisse bercer par les vagues ? Au milieu d'une forêt ? Sur le sable du désert ?

Je me plais à imaginer tout cela, je vous aime.

 

Voilà, moi, Violoncelle, j'espère vous avoir convaincu de venir m'écouter la prochaine fois que je serai proche de vous, oubliez vos préjugés, oubliez mon apparence, et lancez-vous.

Je saurai vous reconnaître.

 
2025.04.17 jeu.
.

Caverne De Famille par Agnès

 
Bétharram, son école, sa grotte, pour la visite on a choisi la grotte.

 

La température y est glaciale, la guide aussi, les mômes en tee-shirt râlent, mais ne peuvent remonter sans être accompagnés, les parents les engueulent et leurs laissent leurs chandails en maugréant les dents serrées par le froid « On y est, on y reste ».

« Ah ! ça je vous avais dit de mettre une petite laine, il fait 12 degrés » dit la guide en remontant la fermeture de son polaire « Faites attention où vous mettez les pieds, on ne touche pas les parois ».

Passée la salle 25 : (25 minutes à écouter, frigorifiés, comment il y a 25 mille ans, des hommes préhistoriques ont dessiné 25 animaux, au-dessous d’une corniche de 25 cm de débord), on s’enfonce dans les boyaux et les voilà, les mains, deux mains dessinées sur la roche. La guide explique : « les mains positives, enduites de pigments colorés, appliquées sur le mur… bla, bla, bla » Ça dure une plombe, on entend des dents claquer.

« C’est quoi une main négative » dit un moutard recouvert de trois pullovers et d’un anorak dix fois trop grand, tous les congelés le fusillent du regard, on en reprend pour une plombe.

« …Mais dans cette grotte vous n’en verrez aucune, elles sont apparues quelques 25 mille ans plus tard » conclut la guide.

Je regarde un long moment l’empreinte rouge que nous montre notre cheftaine, j’ai du mal à détacher mes yeux des cinq doigts de la main à jamais fixés sur la roche, je me demande à quelle femme a appartenu cette main, ces doigts pourquoi en a-t-elle voulu laisser la trace, pour dire quoi, pour parler à qui ?

Fi de l’injonction de la surgé, je mets ma main sur celle du rocher, toucher l’autre femme à travers les âges, traverser le temps, un réflexe grégaire sans doute et je passe à travers ...

… À croupeton sur une peau d’ours, deux têtards goulus accrochées à mes seins, je regarde mon Cro-Magnon allumer un feu pour nous réchauffer, on sait vivre à la préhistoire !

Il me fixe en mâchouillant une pâte ocre, sans doute un chiclets à l’argile, comme je n’ai pas fait Néandertal deuxième langue, je ne pose pas de question.

Soudain il se lève d’un bond fait voltiger Rémus et Romulus, me soulève et plaque mes mains contre la paroi, façon Starsky et Hutch : « C’est ma fête » j’ai pensé « Lucy Sapiens cas zéro du premier MeToo préhistorique ».

Toumaï dans mon dos éructe et crache le contenu de sa bouche sur mes menottes à plat formant les plus beaux négatifs de la grotte, je pousse sur mes mimines et je repars 25000 ans plus tard, notre guide me tend la sienne pour quelques euros-silex :

« Il y a deux négatifs de mains de l’autre côté du mur » lui dis-je

« Impossible, qu’est-ce que je vous ai dit » me dit-elle d’un ton sec.

Je l’ai emmené voir mes mains, j’ai mis les miennes dedans, elles m’allaient comme un gant.

2025.04.17 jeu.
.