La Tête En Fuite par Hug

 

Il la regarde à chaque visite. À chaque visite, il pose un baiser sur son front, se présente, la questionne sur son état, sans réponse espéré. Puis, il s’assoie, pose sa main droite ouverte sur une main fraiche aux doigts tordus, crispés, impossibles à redresser.

Et le silence fait silence. Le même silence qu’il y a huit jours, qu’il y a un instant, qu’il va faire jusqu’à la fin de la visite ; et après.

 

Il la regarde à chaque visite. À chaque visite, il observe la peau des bras matée par le temps, cette peau qu’il n’ose caresser de peur, grande, de la froisser, de la déchirer. Il la regarde et n’espère plus retrouver celle qu’il a connu il y a peu si l’on y songe. Quoi ? Deux années ? Trois ?... Quatre ? Quatre ; déjà quatre ans de silence. L’érosion travaille lentement parfois mais quelque fois on oublie le reflet dans le miroir de la veille.

 

Mais il est là, près d’elle, il la regarde et regrette les moments d’il y a cinq ans quand elle parlait encore de tout, de n’importe quoi surtout. Il riait, elle souriait de son rire. Tous deux le même sourire franc, jovial, accueillant, bienheureux. Un sourire qu’elle a perdu.

Il la regarde, elle se tait, elle se terre loin tout au creux de sa tête, elle fuit dans sa tête qui fuit, elle y trouve de plus en plus de place pour s’y chercher, elle a de moins en moins de chance de s’y trouver, de s’y retrouver.

 

Il la regarde, il espère toujours qu’un jour de visite elle le regardera autrement que vaguement et qu’elle lui expliquera la recette de cette grosse soupe d’hiver, celle avec les patates fondantes et les gros haricots coco dedans, celle que la grand-mère paternelle, la Clémentine, la P’tite Mémé, lui avait apprise. Mais visite après visite, le carnet et le crayon au fond de la poche reste et resteront.

 

Après l’Au revoir Maman, à la semaine prochaine et le baiser posé sur le front et la caresse sur les cheveux encore doux et soyeux, il va s’asseoir sur un banc en face de la maison bleue, l’établissement où les vies s’achèvent en silence. Il s’assoit et pleure des larmes avec lesquelles il aimerait tant pouvoir saler une soupe dont il aurait la recette dictée par Maman sur le papier froissé au fond de sa poche.

2024.06.27 jeu.

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