La Tête En Fuite par Agnès

 

La tête en fuite, le cœur à vif

 

Le siècle à 6 ans, elle nait dans une ferme du Dauphiné, on l’appelle Andrée, petite fille vive et gaie, elle garde les vaches avant de partir à l’école. Puis vient le temps des combats, des mères rendues folles par les croix élevées sur la mort des enfants, son frère adoré perd l’usage de ses jambes à la Grande Guerre.

 

Elle reste joyeuse et devient belle, un garçon l’épouse, il s’appelle Léon, elle a 19 ans, elle perd un enfant, un garçon, mort-né, donner la vie à cette époque, c’était souvent la perdre trop tôt. Elle tient… deux petites filles naissent, Gisèle et Yvette, c’est une bonne maman, mais la démence la guette, un jour, Gisèle à 5 ans, sa maman hurle, des infirmiers l’emmènent à l’hôpital psychiatrique de Sainte Egrève, le papa est désemparé : psychose et démence précoce, elle a 28 ans, Yvette pleure elle ne reverra plus sa maman pendant 30 ans.

 

Léon emmène ses deux petites filles au-delà de la Méditerranée, une mer les sépare de leur mère, une guerre aussi, plus dure à vivre encore pour ces internés, sans-valeur sociale, que l’on laisse mourir de faim. Léon l’oublie et vit dans le péché avec une autre Andrée, celle d’Alger, il pense donner une autre mère à ses filles, il les met dans les mains d’une marâtre, plus femme que mère, les petites se retrouvent en pension, soignées par des religieuses. Gisèle et Yvette souffrent chaque jour de l’absence de leur maman, cette maman qui de l’autre côté demande chaque jour à l’infirmière quand est-ce qu’elle reverra ses deux petites filles.

 

Une autre guerre leur  fera franchir la Méditerranée à nouveau dans l’autre sens cette fois, Gisèle épouse François, un médecin, dans la corbeille de mariage : le Largactyl  un petit miracle de médicament, Andrée après des années de douleur et d’égarement retrouve une raison presque normale et un foyer auprès de ses filles, brèves années de bonheur, quatre ans pour en rattraper vingt-cinq , 1963 l’emporte un 24 octobre j’ai 4 ans car cette histoire c’est celle de ma grand-mère, je la revoit heureuse descendre  l’escalier dans sa robe tablier fleurie, je la revoit aussi posant son assiette à terre pour y manger sa soupe alors qu’elle avait oublié de prendre son Largatyl mais à l’heure où j’écris ces mots, je regarde la seule et unique photo que j’ai d’elle, une grand-mère malicieuse et apaisée qui d’une main me tient sur ses genoux et de l’autre, menotte avec une infinie douceur la main de mon frère.

 

Cette vie, à vous qui la lisez, je vous la confie au cas où ma tête un jour s’enfuit, je vous fais légataire anonyme et ami de la vie d’Andrée, l’oubliée, la recluse, la folle. Faites que jamais je n’oublie que je suis là parce qu’un jour elle a été et si à mon tour je perds la tête, soyez là pour raconter son histoire.   

2024.06.27 jeu.

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