Madeleine(s) En Marcel Sur La Page par Hug

 

J’étais sur la page, je regardais la ligne, celle que tenait le pêcheur stationné dans la marge. Le fil de l’encre tombait d’aplomb, le bouchon bleu à la pointe percée bouchonnait mais le poisson ne poissonnait pas, ses écailles aux reflets alphabétiques ne perçaient pas la peau du velin.

Une paire d’heures que le Capitaine Fracasse ne cassait pas grand-chose. Le bouchon montait, descendait et puis le bouchon montait, descendait, montait, descendait, de quoi vomir quatre heures sont quatre heures.

 

J’ai tourné de l’œil vers l’horizon, le regard ajusté à la ligne, celle du fond dans le fond, derrière les vagues et j’ai lâché le pied du parasol.

Tout a surgi d’un coup, la sensation du froid, le vent porteur de sable, les brisures de vagues qui piquent aux mollets…

1973. La Manche ? La mer du Nord ? No sé ! Où ? No sé ! la ville le port la plage no sé no sé no sé.

Ce dont je me souviens c’est l’extraordinaire surprise de voir la mer pour la première fois. Natif et citoyen des montagnes du Jura, là où les collines ne bougent pas, ne se balancent pas, où le vent incite à danser valse sapins, foyards, noisetiers et d’autres majestueux individus, où son souffle sur les prés des vallons, des combes dessine des vagues incroyables, pour moi terrien d’altitude découvrir le sol qui bouge tout le temps était sidérant. Vraiment !

 

On va s’y baigner !

Une invite ? je ne sais pas, les vagues ont attrapé le ton avant que je ne le ferre. Je ne sais pas si j’ai envie. Je ne sais pas nager. Je ne sais décider, que faire de moi dans cet environnement inconnu de moi.

Et j’ai peur. Le ciel est gris plombé, le vent à décorner les escargots, l’eau doit être proche du glaçon.

Et puis j’ai pas de culotte de bain. Tiens ! voilà, ça c’est radical.

Mais on est tout seuls.

Ha ! Les amis parisiens de mes parents ont tout prévu : une plage privée, privée surtout de baigneuses, de baigneurs.

Bon ! je me fais désirer un peu et puis il faut bien des souvenirs pour que jeunesse se fasse. Alors, va pour le bain à poil, un peu, et cul nu, bien crayeux. Ils auraient pu prévoir écharpe et bonnet de laine, je vais attraper une anguille de poitrine avec ce fichu temps de sombre. Mais pas !Une grande serviette pour l’après, c’est délicat, j’apprécie Je te frictionnerai Tu n’auras pas froid. Je ne peux leur jeter ni sable ni écume.

 

J’ai pris mon premier bain de mer cet après-midi de temps de pluie, oui, l’eau a fini par tomber d’en haut aussi, de quoi nourrir l’agitée d’en bas. Mes dents claquaient comme les voiles déchirées d’un quatre mats en perdition dans un ouragan.

J’ai oubli le froid. J’ai marché sur la plage. J’ai marché dans l’eau. J’ai marché sur l’eau, ouais !!! même moi. Je me suis roulé dans les vagues heureux de ce moment, ma première tasse à sel m’a fait tousser tout rouge, j’avais dû manqué le cours de science naturel consacré à la salinité des mers.

Je ne me souviens plus du temps resté en immersion glaciale, le souvenir majeur, le souvenir madeleine tient dans la sensation de bien-être au fond de moi, malgré les conditions, j’avais affronté l’inconnu et ce fut bien, si bien. Quand revient ce souvenir, amené par vague océanique jusqu’au rivage de ma mémoire éveillée, je frisonne, j’avais quatorze ans, file le temps, passent les heures…

2024.06.27 jeu.

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