Je Suis... par Hug

Je suis un stylo à plume.

Je suis un stylo moderne s’entend car dans ma famille les lois de l’évolution ont fait leur chemin.

Mes aïeux naissaient sur les oiseaux, les oies de préférence. Le rite de passage de plume d’aile à plume d’écriture consistait en deux scarifications précises : un coup de canif taillait en l’extrémité nue un biseau, un autre partageait la face de cette forme nouvelle en deux pour ainsi permettre à la plume faite de tracer sur le papier belles lettres rondes aux fins déliés, aux pleins copieux.

Puis l’âge du métal amena quelques ethnies à tête pointue fendue par le milieu à s’installer, peuple des Gauloises, ethnie des Sergent Major étaient aux plumiers. Les habitudes changèrent. Mes ancêtres qui s’étaient battues contre des tribus de calames historiques, se débattaient dans d’indésirables flaques d’encre répandues par maladresse physiologique, leurs corps creux vieillissants fragilisés fuitaient et tâchaient de cacher leurs taches à coup de buvards trop bavards. Ces derniers, traitres fourbes, avec une incontinence infâme s’empressant de rapporter à un public avare d’anecdotes suintantes de misérabilismes, les maléfices de l’âge qui s’acharnaient sur ceux mêmes qui les nourrissaient. Ces scélérats mous du corps firent remiser au fond de boites patinées des familles entières de plumes majestueuses.

Cette lignée moderne de plumes légères et souples souffrait pourtant de la même tare que la génération qu’elle avait rendue muette : une faible capacité à tenir la distance en laissant trace au papier. La nécessité de plonger la plume à l’encrier agaçait bien des scripteurs, certains inventeurs singuliers se mirent à la tâche.

Parmi eux, un homme de l’eau, comme le suggérait son patronyme, habitué des fuites sans doute, des réservoirs et autres circuits hydrauliques, proposa un outil à écrire révolutionnaire : une plume de métal reliée par un système ajusté à une réserve d’encre habilement protégée par une structure solide. Quelques déconvenues et modifications inévitables plus tard le stylo-plume fit ses premières boucles sans laisser moindre taches, ni éclaboussures.

Je viens de cette branche d’objet servant à l’écriture. Cette famille d’utilitaires, comme bien d’autres, compte des gens de peu, des communs, des artisans, des technologiques, des aristocrates, des nobles, des majestés à la parure flamboyante parfois surfaite, tout autant que m’as-tu-vu, des faussaires opportuns. La curiosité a fait essaimé des individus aventureux, de par le Monde les cousinages se sont multipliés.

Pour ma part mes ancêtres sont ancrés en territoire jurassien, d’humbles artisans, fermiers l’été, inventeurs l’hiver, habiles et patients, ont remis cent fois mes proches aïeux sur l’établi d’horloger quand la voisine helvète traitait elle-même ses complications, moindres ou grandes. Mon corps est de bois, de buis, de chêne, d’acacia, ma plume, faite de métaux nobles assemblés, est souple, sa course sur le papier est soyeuse. Mon agrafe simple, coquette laisse voir aux connaisseurs l’écusson des ingénieux vachers qui m’ont donné corps : trois clarines liées par une boucle de corde.

J’aime à écrire, courts messages, courriers administratifs, réclamations aux tonalités agacées, nouvelles amicales et surtout lettres d’amour. Je n’ai pas la prétention à littérature, toutefois je songe parfois à inventer histoires à rêver, poèmes à transporter. Qui sait !? J’entretiens amitié avec les curieux appareils électroniques boutonneux, ils sont véloces, trop peut-être, j’aime à flâner sur la feuille bien à plat, à faire circonvolutions pensives, traîner du spleen de marge en marge, autant de bagatelle que de trop disciplinés machines formatées ne peuvent se permettre.

La personne dont la main me fait danser, qui me promène de son bureau aux feuillets, de sa poche à son carnet, qui me plonge avec délicatesse au flacon nourricier, essuyant avec soin le trop de breuvage, est amoureux de moi. Toute sa panoplie de communicants de haute-technologie : portaphone, ordinateur nomade ou casanier n’y pourra rien, jamais ; jamais il ne m’abandonnera, je le sais. Ma plume que l’émotion anime à chaque déambulation, mon corps qui, parfois, en résonne de déraison le savent. De cette belle personne je sais l’attachement car quand elle me prend dans ses doigts, qu’elle me serre tout bas, je sens en moi son cœur qui bat.

2023-01-12 jeudi   

 

 

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