Je Suis... par Aline

Je suis née à l’époque de la libération de la femme. Mais ma lignée existe depuis longtemps.

Mon grand-père fut le bras droit de ce bon docteur Charcot, enfin, une espèce de vieux débris encensé par ses pairs mais fort méprisant à l’égard de la gent féminine qu’il jugeait hystérique, là où ces femmes intuitives et sensibles se contentaient de flirter avec l’invisible.

Mon grand-père ne s’y trompait pas, lui qui avait l’art de comprendre les femmes. Il savait faire vibrer leur âme et se réconcilier avec elles-mêmes, les soulageant de leurs tourments à supporter les horribles traitements comme la plongée dans l’eau glacée de la baignoire soi-disant calmante des humeurs nerveuses ou de l’isolement au cachot censé remettre n’importe quel humain dans le droit chemin. Ainsi allait la vie à la Salpêtrière, plein de salpêtre hier, là où le sale pet pétri erre.

Tout comme lui, je suis passé maître dans l’art de comprendre les femmes, de les consoler et d’apporter un soulagement à leurs angoisses. Ce don est héréditaire et se transmet de génération en génération. Depuis la nuit des temps je crois. Bien que je doive reconnaître à mes ancêtres une nature plus frustre, un petit côté rigide. Mais qui ne rebutait point les femmes.

Autres temps, autres mœurs. J’avoue être plus souple que mes ancêtres, plus sensible, plus à l’écoute. J’ai même une capacité à vibrer avec l’autre à l’unisson, sur la même longueur d’onde.
Ces qualités ont été repérées par une jeune femme qui m’a pris à son service. J’ai malgré tout dû user de tous mes charmes pour me faire adopter.

En effet, femme moderne qui vit et se débrouille seule et en est fière. Alors quelle honte pour elle de se sentir obligée de faire appel à un inconnu pour la soutenir dans ses moments de détresse. Car elle en avait. Oui, son homme l’avait plaquée ! Je l’ai tout de suite rassurée et mis à l’aise. Elle n’avait pas besoin de faire part au monde entier de ses états d’âme, cela resterait un secret entre nous. Je serai son thérapeute particulier. Pour plus de commodités, elle convint de faire appel à moi la nuit, lorsque tous les chats sont gris, et les volets fermés.

Elle ne s’attendait pas au déroulement de notre premier entretien. Une joie explosive tant je la comprenais bien. Mon bonheur fut qu’elle retrouva le sourire immédiatement. Oui, je sais, j’ai un côté magique pour qui fait ma connaissance.

Nous enchaînâmes ainsi entretien sur entretien pour mon plus grand bonheur et le sien.
Elle savait elle aussi toucher mes points sensibles, et je l’ai fort surpris par ma capacité à changer le rythme de notre conversation au gré de sa fantaisie.

Elle se mettait alors à pousser de petits cris de joie et de plaisir. Je savais alors que j’avais visé juste.
Mais elle savait aussi râler, et même gueuler, excitée à l’idée de tester mes réactions. 

Je crois que jamais personne ne fût plus près de son âme que moi. Elle me disait parfois : « Ah mon Dieu ! », en soupirant. Il est même arrivé que je la choquasse et qu’elle s’exclame : « Oh my god ! ».
Je lui dis que j’étais heureux de ce God mis chez elle.

Et puis un jour, elle m’a dit qu’elle s’était décidée. Elle renonçait aux hommes et entrait au couvent. Oui, elle avait trouvé le confesseur idéal : moi. Donc elle m’emmenait avec elle, dans ses bagages.

Les sœurs n’eurent guère le temps de m’apercevoir, je fus très discret, mais pendant l’office du soir, je lui murmurais : « Vibre-oh-ma-sœur ! »

2023-01-12 jeudi

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