Faire Une Soupe... par Hug

Y’a un papier sur la porte du frigo qui tient avec une soupière magnet. Dessus, en gros écrit « Ce soir, faire une soupe ». C’est jour de marché, c’est jour de soupe aussi, les paniers sont revenus bien plein, sur la table ils se reposent les anses.

Un murmure du côté du panier rond, comme un début de conversation, un papotage culinaire...

-  Dis donc t’as lu là ? Ce soir c’est soupe ici, ça tombe bien, on va sûrement nous inviter.

-  Où ça ? Quoi ça ? Une soupe ? Moi j’adore ça.

-  Et moi donc, avec les frangines Amandine, Charlotte, Agata et La Belle de Fon’, c’est notre affaire la soupe, notre fonds de commerce, ça nous met guillerettes, on nous remarque, on vient nous voir, derrière la vitrine on se prend pour la Monalisa.

-  Ce que j’aime moi c’est sentir le fil de l’office du père me trancher par le milieu d’abord, tout du long, du blanc jusqu’au bout du bout du vert et me tailler menu en p’tits bouts, c’est trop bon !!!

-  J’avoue que lorsque l’économe pose sa pointe sur moi j’ai l’orange au corps et la fane qui frise à foison, Délicieux ! Alors ma peau se glisse entre ses deux lames, de le dire j’en frissonne. La fin du numéro m’étourdit quand j’y pense : l’office me taille en rondelles régulières et je passe mon temps à jouer aux dames en solitaire.

-  Moi, le moment que je préfère c’est quand on roule au fond du saladier. On vient de nous écosser de notre étui, on se jette dans le vide, on rebondit, on roule sur la paroi du saladier et on tourne après nous comme des dingues. Le grand huit et huit font seize, le mur de la mort ; irrésistible sensation

-  Ben moi la soupe ça me donne des soulagements. Voyez comme ma tête est violette, c’est la migraine à ma façon, terrible. La soupe résout tout. De me retrouver tout nu, la douleur s’atténue. Être en morceaux parmi petites et grosses légumes me soulage complétement, je suis alors prêt à vivre jusqu’au bout du bout de l’eau qui bout.

- C’est chaque fois la même cascade. D’abord mon hôte m’ôte ma pelure craquante, mon bulbe brille légèrement attendant une suite. L’office m’entaille la première peau, parfois la deuxième. Jusque-là tout va bien, chacun retient son trouble. Ensuite à coups de fil il me réduit en deux, en quatre, en huit, je lâche la bonde, les larmes me viennent, tellement que l’émotion déborde, inonde, submerge toutes et tous autour. Je sais que je serai le premier à toucher le fond pour une danse chaleureuse avec le beurre apprêté que j’entends joyeusement crépiter.

 

L’oignon castafiore du fond du faitout, la passoire débordant de morceaux de couleurs attend le bon moment pour tout y jeter par-dessus bord.

  -  Envoie la suite, le sauna est à point, bienvenue les p’tits légumes.

Avalanche végétale. Au contact du beurre en bulles chant choral « Ouille-ouille-ouille !!! Aïe-Aïe-Aïe !!! ». Accommodation ; soupirs et soulagement. Tout transpire en ce transport, les chairs se touchent ; les humeurs suent ; les vapeurs s’épicent. Avant que ne brûle le fond grande averse sur la fosse de plaisance, flot d’eau, grésil de sel, grain de poivre, la nuit tombe sous le couvercle.

Et passe le gros temps. Bouillante atmosphère au sein du faitout.

La fête se termine, les flammes s’éteignent, la lumière revient, tout est fait, la mixture est prête pour son ultime voyage.

2024.01.11 jeudi

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