S’Attabler Chez Tavernier Bertrand, En Tricoter Les Toiles… par Hug

La Chance et l’amour

 

Je suis le fils de l’Horloger de Saint-Paul. Toute sa vie mon père a vécu et exercé son métier dans ce quartier de la presqu’île, cet endroit est du Vieux Lyon le regard intérieur. Les rues y sont étroites, les immeubles anciens, les habitants de connaissent assez pour se saluer franchement quand ils se croisent. C’est un lieu d’histoires, de Grande et surtout de petites, de minuscules, celles des vies de mains ouvrières, calleuses, aux doigts tordus.

 

Mon père me raconte, se souvient, à l’automne surtout quand son cœur prend la couleur de platanes dans les squares, la nostalgie souffle à travers les branches de sa mémoire ; il devient alors Daddy Nostalgie.

Parfois il s’énerve de ce que l’Histoire, celle au grand h, a laissé comme traces infâmes, il gueule Papa contre l’oubli, ces trous béants dans lesquels disparaissent des personnages, des lieux, des actes de bravoure ou de lâcheté, mais aussi des rires, des larmes, des chansons, des bonheurs, des malheurs.

Ces soirs il semble voir la mort en direct, là, juste debout devant lui. Alors il lève de sa main et lance un coup de torchon invisible pour faire place à une autre histoire, la sienne, la nôtre.

 

Autour de minuit Papa fredonne un air d’opéra de son invention, il offre la passion Béatrice à son unique public, le chant de son unique amour à son unique enfant. Il chante Maman.

Leur rencontre eut lieu pendant une semaine de vacances. Au matin, mon père, résistant sous l’alias Capitaine Conan, repérait les lieux qui serviraient bientôt de base de rencontre et de transmission. Il observait des enfants gâtés des beaux quartiers du 6ème arrondissement promener leur insolente indolence dans le Parc de la Tête d’Or, songeant que la guerre sans nom ne semblait guère les inquiéter. Dans la brume électrique que le Rhône et la Saône faisaient rouler dans les allées du Parc, il eut une vision romanesque : la fille de d’Artagnan marchait dans sa direction, elle avançait en contre-jour, le soleil perçait en rayonnant donnant à l’apparition une dimension troublante.

Leurs regards se croisèrent furtivement pour revenir aussitôt plonger l’un dans l’autre. Ils s’installèrent sur un banc et parlèrent longtemps, d’avenir surtout, de l’après-guerre. Ils donnèrent rendez-vous pour un dimanche à la campagne.

 

Béatrice vivait à Paris, elle travaillait, comme archiviste, Quai d’Orsay, au ministère des Affaires étrangères. Obtenir des laissez-passer était relativement simple, elle prétextait une mission, un travail de recherche, cela pouvait l’amener à des visites dans les préfectures de province. Béatrice avait accès au bureau L.627, celui des dossiers spéciaux. Elle prenait des notes, copiait des documents qu’elle cachait. Elle voulait rejoindre un réseau et agir. Cette rencontre imprévue allait changer sa vie.

 

Au dernier jour de la semaine, au bord du Rhône, à la terrasse de la guinguette « L’Appât », ils parlèrent encore. De frivolité, d’amour, d’avenir. Et plus sérieusement de résistance. Béatrice reprit le train pour Paris, les baisers qu’ils échangèrent sur le quai furent sobres.

Quelques semaines plus tard, Béatrice entra dans le réseau de renseignements sous l’alias Holy Lola. La vie et rien d’autre se répétait-elle, vivre et agir, agir et vivre, vivre et revoir Capitaine Conan.

 

Certaines missions leur permirent de se rencontrer, de parler encore, ils se quittaient invariablement avec des baisers toujours aussi sobres. Quand la guerre s’acheva, ils se retrouvèrent à Lyon. Béatrice, la vie, ça commence aujourd’hui !, dit-il. Béatrice répondit : Et que la fête commence ! Embrasse-moi Capitaine et follement.

2024.01.11 jeudi

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