Les 10 Mots 2024 : "Une histoire particulière..." par Agnès


Une histoire particulière dans la mémoire collective

 

J’ai 15 ans, petite boule de suif complexée, un ami jardinier m’a donné un nom de salade « Grosse Blonde Paresseuse », le sport ne m’aime pas beaucoup et je le lui rends bien.

 La semaine précédente, je mets hors-jeux mon équipe lors des Olympiades de fin d’année de mon Collège. A l’épreuve du grimper de corde, impossible de m’affranchir des lois de ma pesanteur, et après une suite de faux départs infructueux, mes fesses refusent catégoriquement de décoller du sol, mon flop calamiteux est la cause d’une magistrale reculade dans la compétition de ma team.

Je rumine ma déconvenue et mon mal-être en ce 12 juillet 1976, avachie devant la télévision, quand elle surgit dans ma boite cathodique , petite gymnase au justaucorps blanc à liséré rouge, un chouchou retenant sa couette ; elle s’enduit consciencieusement les mains de magnésie comme si elle voulait absorber toute l’adrénaline qui s’infiltre en elle à quelques minutes d’affronter l’épreuve des barres asymétriques aux JO de Montréal ; sitôt je suis happée : 19 secondes de perfection et de grâce pure durant lesquelles l’acrobate virtuose se joue des barres, les enlace, les embrasse, s’enroule autour à une vitesse vertigineuse, saute de l’une à l’autre dans des agrippements in-extrémis qui arrachent aux 18 000 spectateurs, cris et murmures ; une réception impeccable signe la fin de cette prestation époustouflante et devant nos mines baba d’admiration, elle resplendit d’un sourire solaire. Les compteurs s’affolent et affichent une note jusque-là jamais atteinte : 10,00 parfait. Une championne est née, elle s’appelle Nadia Comaneci, elle est roumaine, elle a 14 ans et demi, la caméra filme en gros plan la mine dépitée des gymnastes russes persuadées d’être les reines de la discipline. Cette expression de dépit métissé de mépris, je la revois, la même, sur les visages de mes camarades, après mon fiasco individuel qui a conduit le groupe à l’échec collectif.

Interviewée, la voix d’enfant de Nadia, dans un français sobre et scolaire, témoigne d’un mental d’athlète étonnant : « je m’entraine 3h par jour », cette remarque fait mouche et secoue mon apathie, je signe le début de ma gageure et mon défi devient mon leitmotiv : « En septembre, je touche le plafond de la salle de gym ». Je mets mon père dans la confidence, complice absolu  il installe à la poutre métallique du garage  6 mètres de corde flambant neuve en ayant pris le soin d’accrocher tout en haut comme à un mât de cocagne un superbe chiffon orange : « C’est le Graal » me dit-il  « A toi de relever le challenge », m’encordant  quotidiennement durant les 2 mois d’été , je répète inlassablement les mêmes exercices: coincer les pieds, enrouler la corde, tirer sur les bras, plier les genoux, enserrer la corde, recommencer ; des postures répétées à l’envi, Papa m’encourage, Nadia sur le poster me regarde : « Allez Agnès, n’oublie pas ta promesse, bouge tes fesses avec allégresse et, sans mollesse, empresse toi vers ta prouesse »

Un beau matin, à l’instar d’un cycliste qui tente plusieurs échappées afin d’en réussir une, une tentative paye et comme l’or est allé à l’Ange Nadia, Agnès est allée à l’orange du chiffon convoité.

(2024.01.19 vendredi)

 

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