Avec Ces Mains... par Agnès

Avec ces mains, 

ces mains qui ont fait ce qu’elles ont pu…

ce dimanche matin quand ce gros bêta de pied s’est pris les petons dans un plotet pour aller embrasser une bouche d’égout. Voyant arriver droit sur moi en gros caractère « Fonte Ductile », elles sont sorties de leur poche et, courageusement, en éclaireuses, paumes en avant, pour m’épargner un « Pont à Mousson » du plus bel effet scarifié sur la peau de mon front, elles sont allées se plaquer sur l’asphalte. Elles ont fait ce qu’elles ont pu, grâce à elles, je n’ai pas perdu la face malgré une légère estafilade sanglante sur l’arcade, je n’ai pas traumatisé le crâne, malheureusement, occupées à moucher mes 36 chandelles, elles n’ont pu soutenir ma cheville qui, dans un craquement sinistre, a cédé.

Le verdict est tombé : 4 semaines d’horizontalité stricte. Alors, chouette, on lève la procrastination sur les lectures en suspens, les courriers en retard, le visionnage des DVD, le classement des photos, l’écriture de mes trois embryons d’historiettes. J’étais là où l’on m’attendait : journaux étalés sur le lit, pile de livres sur le chevet, TV entre replay et infos, ordi entre Word et Google.

Et puis un matin… Rideau ! Allo ! Allo ! la tête ne répond plus, Mayday ! Mayday ! le cerveau en burn-out, saturé d’informations, gavé d’images, imagination à sec, inspiration en blanc.

Pourquoi j’ai écrit M. Le Dépité (Député) Maire, pour donner suite à votre fumeux (fameux) discours, pourquoi j’ai envoyé mes animalités (amitiés) à mon collègue de bureau, je lis quinze fois une phrase sans la comprendre. Même plus bonne à écrire une liste de course, je confonds Angéla Merkel et Angéla Davis, je place Pontault-Combault au Sénégal et je disserte sur l’électron libre au lieu de l’illectronisme.

Out la Petite Agnès, l’intellect en berne, couchée comme une baleine échouée, la tête nimbée de gros nuages noirs et de pensées infernales, face au vide sidéral de son oisiveté stérile. Je fixe mes deux menottes « Tes mains sont tes amies pour la vie », cette maxime, c’est ma mamie qui me la glisse à l’oreille un dimanche de gros ennui à la campagne sans télé ni copines « Viens, je t’apprends à tricoter ». À la fin des vacances, le tricot était ma marotte, j’ai même tricoté des petits manchons de laine autour des branches du cerisier.

Je n’étais plus là où on m’attendait :  Le Pingouin et la Bergère de France étalés sur le lit, une pile de pelotes entre les pattes du chat, deux aiguilles qui dépassent et moi, levant les yeux de ma maille à l’endroit sur des visiteurs ahuris et déconcertés.

Tous ce qui présentait devant moi était un tricot sur pied

« Gabriel, tu ne veux pas une écharpe aux couleurs de ton club de foot »

« Te fatigues pas Maman, je suis plus fan, ils sont redescendus en D2 »

« Un bonnet Rasta alors j’ai un vert, un jaune et un rouge drôlement tendance »

« Bob M, ça date de quand j’avais 12 ans, Mum, en 2024, c’est Black M que je kiffe »

« Lola, ma chérie, t’en est où de tes amours, l’horloge biologique tourne tu sais, je rêverai d’être une jeune grand-mère »

« Mais Maman, j’ai 19 ans, la semaine dernière tu m’appelait mon Bébé et maintenant tu veux que j’en fasse un rien que pour écouler ton stock de chaussons et de brassières ! »

Mon mari passe une tête dans l’embrasure de la porte « Dis chérie, je ne m’en sors pas avec le linge, j’ai plus de caleçon, tu ne voudrais pas me tricoter un calbute pour demain ? »

Fallait-il les prendre en photo pour enfin les remarquer ? Ces mains qui pendant trois semaines de points de coquille, de petites feuilles, de semis et d’entre-deux ont balayé Spleen et Bad Trip, remaillé mes synapses, rebrodé le bon sens de l’envers sur l’endroit, et repeint la vie en rose layette. Alors, ces mains-là, ces mains qui ont fait ce qu’elles ont pu, je leur dis simplement merci, merci de m’avoir sauvé la vie. 

2024.02.08 jeudi

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