Avec ces mains plutôt flétries je me repose, enfin presque, puisque j’écris en les observant. Chacune d’elles conserve une bague, souvenir d’un temps passé. La main droite, elle, n’a pas le choix : la petite bague dorée refuse de la quitter. La bague argentée est parfois tentée d’aller voir ailleurs. Elle amorce alors une glissade le long de l’annulaire gauche, mais, casanière, rejoint finalement sa place. Et si, à ces mains plutôt flétries, je laissais un peu la parole ?
Je suis Main Droite, la plus laborieuse. Mon activité favorite : tourner les pages d’un livre. Je tourne, tourne dans le même sens avec des pauses plus ou moins longues. Il arrive que brusquement, je tourne en sens inverse ce qui me perturbe un peu. Quand la dame participe au cercle de lecture, elle présente le dernier livre lu et aimé. Je m’agite, heureuse d’avoir contribué à son enthousiasme : j’étais là ! Je me calme vite, triste : la dame ne parle jamais de celle qui tourne les pages.
Je m’appelle Main Gauche. Ce que je préfère : les séances pose de vernis. Surtout quand c’est la fille de la dame qui s’en occupe, parce que là, je n’ai rien à faire. Je suis alors tranquillement installée sur la table à côté de ma copine Main Droite. Nous nous détendons, dialoguons dans ce langage si particulier que seules les mains connaissent. Le contact du dissolvant puis celui du vernis nous dérangent un peu mais le résultat en vaut la peine. Durant le temps de séchage, le doux sourire de la dame nous effleure l’une et l’autre équitablement, endormant ainsi cette jalousie main droite main gauche qui existe entre nous.
2024.02.08 jeudi
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