La Mona Monologue par Pascale

Je m’appelle Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo. Un jour, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai eu la bêtise de poser pour mon voisin, Léonard de Vinci, barbouilleur à ses heures. À sa demande j’ai croisé mes mains, fixé rêveuse le clocher de l’église dans la fenêtre de l’atelier, arboré un sourire figé.


Un peu plus tard, la vie tranquille où j’alterne escapade en ville et lecture au coin du feu bascule dans l’horreur. La toile de moi fait fureur. On acclame l’œuvre d’un génie. La Joconde ou Monna Lisa : quel titre ridicule !

« Comme tu es belle ! Comme on t’admire ! » serine mon mari avec fierté. Qu’est-ce que j’en ai à faire ?

Maintenant, quand je me promène dans la rue, tout le monde se retourne voire me tourne autour, m’arrête. On me félicite pour ci, on me complimente pour ça.

Alors je fuis dans les ruelles, rase les murs, bifurque, me cache. Je rentre excédée, épuisée. L’envie de lire a quitté mes soirées.

Petit à petit je sors de moins en moins, attendant qu’on m’oublie. Mais non, rien à faire ! D’après ce que Francesco lit dans les journaux, d’autres peintres ont réalisé mon portrait en s’inspirant de la croûte de Léonard. En plus, deux semenciers ont osé baptiser leur pomme de terre Monalisa. Quelle injure !

Aujourd’hui, je demande à notre employée de maison de partir plus tôt : une envie soudaine de préparer le potage du soir. Direction le primeur au coin de la rue. Vite, l’heure de la fermeture approche. J’achète carottes, navets, poireaux, courgettes. Pas de pommes de terre, on ne sait jamais. De retour à l’appartement, je m’installe à la cuisine, seule. L’épluchage, le coupage des légumes puis leur moulinage après cuisson épongent un peu mon exaspération et ma rancœur. Dans un bol, je laisse refroidir un peu de potage puis m’en tartine délicatement le visage. Ce masque légumier m’apporte un peu de détente. Sainte Julienne, faites que cette détente m’aide à affronter la litanie sucrée et le compte rendu journalistique du jour de mon mari pendant le tête-à-tête de notre souper.

2024.02.08 jeudi

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