La Mona Monologue par Hug

C’est pas le jour pour parler, même toute seule, même de moi, j’ai un mal de front ce matin, passer la nuit la face contre la vitrine à surveiller la salle des États m’aura laissé dans un drôle d’état. Hier fin de journée je n’avais pas envie de quitter mon fauteuil, vexée j’étais.

Tiens ! il y a de quoi ! C’était dimanche, journée familiale, habituellement tranquille, quelques morveux qui me tirent la langue, rien d’extravagant, de quoi même égaillé le temps qui traine.  Mais vers 10 heures deux hurluberlues ont cru bon et bien malin de me jeter de la soupe de courge à la figure. Avaient-elles expérimenté une recette de l’Atelier des Plumes du mois de janvier ? Pas eu le goût d’y goûter, en colère rouge ça m’a mise.

Pensez donc, les jours sont monotones, et il faut toujours discrètement sourire, cela demande une abnégation forte, vraiment. Je fais des efforts, Je tiens la pose et voilà que Splach !!!! une douche saveur cucurbitacée. Je suis respectable tout de même, j’ai l’âge de mes pigments, alors supporter l’irrespect de deux soupières d’opérettes c’est trop, je vais demander à retourner en réserve, sur la touche La Moi-Mona, à la marge.

Bien heureusement des gens savants, bien intentionnés eux, ont depuis longtemps installé des éléments de confort satisfaisants, assuré ma sécurité et surtout mon intégrité, cette fois-ci la courge en soupe a glissé sur ma porte-fenêtre fermée, j’ai l’hiver frileux, ici, comme Léonard au Clos Lucé je clos mon huis.

En revanche les conditions de travail deviennent insupportables. Avant que le monarque ne soit coupé par le haut dans les années 90, 1790, mon activité de décoratrice d’intérieur m’occupait sereinement. Les visites étaient rares, je pouvais passer deux jours, trois, sans être dérangée ; je quittais la pause tout en restant dans le cadre, me levais ; j’allais faire un tour par le chemin, me posais pour une sieste en bord d’eau, les jours de grand bleu soleil je me permettais un bain de pieds, une presque vie de châtelaine. Dans le cas de visite impromptue un aimable intendant, un peu amoureux de ma personne, venait vérifier mon horizontalité. Ma vie fut belle ces siècles-là, avec ses moments de solitude.

 

Et puis les avis furent partagés, comme Sa Majesté, la question se posa : devait-on me réduire en puzzle à deux pièces ? Je fis le plus beau sourire au tribunal révolutionnaire, ils succombèrent à mon mystère zygomatique.

Je fus accueillie par un musée national, à Paris, un chouette endroit. Je suis devenue vedette, je ne sais plus quand, ni pourquoi, ma mémoire est un peu mitée. Est-ce le kidnapping de 1911 et mon retour au balcon qui aura aiguisé les curiosités ? Depuis le foule se précipite.

Et c’est depuis que la lassitude m’enlace hélas. J’en vis cinq cents à l’aube du jour de mon retour, pour en compter cinq mille à la fermetoure. Depuis c’est Woodstock en peinture, on me dévisage comme une réclame de fond de teint ou d’agence de voyages. Certaines jalousies riant de me voir si belle en ce décor me hurlent en silence leur désespoir. Le pire, hélas, est là : on ne me regarde même plus. La technologie est merveille, les portaphones permettent de photographier sans risque d’endommager les peintures, alors ils sont là tous ces Polichinelle à se selfier à tout va pour ensuite poster leur poster au format timbre-poste, ils passent sans me voir, sans me regarder, sans même me dire Mona, je t’aime.

2024.02.08 jeudi

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